Dossiers médical, conservation et droit du patient
Dr Dominique Bünzli ¦ médecin interne générale FMH, membre du comité SNM et MFE Neuchâtel, Peseux.
Me Rachel Christinat ¦ Avocate au barreau, docteure en droit, associée au sein de l’Etude Schaller & Associés, Neuchâtel.
Me Stéphane Mermod ¦ Avocat au barreau, collaborateur au sein de l’Etude Walder Klauser Schwab, Couvet.
conservation, archivage et droits du patient / Délai de prescription / Responsabilité civile
Introduction :
Le 1er janvier 2020, les nouvelles règles légales en matière de prescription civile sont entrées en vigueur. Elles viennent modifier les délais de prescription sur plusieurs points, notamment par un allongement de certains délais. En particulier, un nouveau délai de vingt ans est introduit dans certaines situations. Ces modifications influencent par conséquent les obligations en matière de conservation des dossiers médicaux. La présente contribution vise à renseigner le praticien sur les conséquences concrètes de ces changements et à le sensibiliser sur certains points délicats, en particulier sur les conséquences de la conservation (ou non) du dossier médical et la couverture en assurance de responsabilité civile.
Partie A, par : Dr Dominique Bünzli, médecin interne générale FMH, membre du comité SNM et MFE Neuchâtel, Peseux
Me Stéphane Mermod, Avocat au barreau, collaborateur au sein de l’Etude Walder Klauser Schwab, Couvet.
A. Délai légal de prescription et conservation des dossiers
I. Cadre et définitions
1. Délai de prescription en responsabilité civile (droit fédéral)
a) Bref rappel des conditions de la responsabilité civile du médecin
Le médecin peut être recherché en responsabilité pour les actes accomplis dans sa profession soit sur la base de la responsabilité contractuelle (i) soit sur la base de la responsabilité pour acte illicite (ii).
i) La responsabilité contractuelle
La responsabilité civile d’un médecin repose premièrement sur la relation contractuelle, sous la forme du mandat, généralement appelé « contrat de soins médicaux », qui le lie au patient venu le consulter. Cette responsabilité est engagée aux quatre conditions cumulatives suivantes :
- une violation des obligations contractuelles,
- un préjudice,
- le rapport de causalité entre l’acte ou l’omission du médecin et le préjudice, et
- la faute, présumée.
Dans le cadre d’un contrat, chaque partie assume certaines obligations. Dans le contrat de soins médicaux, le médecin doit principalement faire diligence dans son activité en faveur du patient, en exécutant son mandant dans les « règles de l’art », constituées des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens. Il est à préciser que le médecin doit traiter son patient de manière appropriée et qu’en conséquence, il peut en principe devoir répondre de toute faute professionnelle, même en l’absence de manquement grave aux règles de l’art. La violation des obligations contractuelles peut résulter d’un acte mais également d’une omission. Dans ce dernier cas, l’on se demandera si le fait d’avoir agir correctement aurait empêché la survenance du dommage.
Le préjudice est constitué d’un dommage matériel (corporel, financier) et/ou d’un tort moral. En l’absence d’un préjudice, une faute professionnelle, même théoriquement grave, ne suffit pas en elle-même pour rechercher le médecin en responsabilité civile.
La causalité entre l’acte ou l’omission et le dommage est double : naturelle et adéquate. Elle est naturelle lorsque, sans l’acte ou l’omission, le dommage ne se serait pas produit. Elle est adéquate lorsque le fait générateur de la responsabilité est propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit. C’est en général la condition de la responsabilité civile la plus difficile à démontrer.
La faute du médecin est présumée, à savoir qu’il appartient au médecin de démontrer qu’il a agi dans les règles de l’art et correctement informé son patient sur les soins proposés.
Comme le patient doit démontrer que le médecin a violé ses obligations contractuelles (cf. plus haut), il devra apporter la preuve que le médecin n’a pas agi selon les règles de l’art (« faute professionnelle » ou « faute médicale »), ce qui revient finalement à démontrer que le médecin a commis une faute. Ainsi, en matière de responsabilité du médecin, la violation des obligations contractuelles se recoupe en définitive avec la faute au sens de la responsabilité civile.
Par conséquent, si le patient parvient à démontrer que le médecin a manqué à ses obligations contractuelles, ce dernier ne parviendra que difficilement à démontrer qu’il n’a pas commis de faute au sens de la responsabilité civile.
On notera que, compte tenu du domaine spécifique dans lequel agit le médecin, la jurisprudence retient que ce dernier dispose d’une marge d’appréciation dans les différentes solutions qui se présentent à lui. Ainsi, le médecin ne répond d'une appréciation erronée que si celle-ci est indéfendable ou se fond sur un examen objectivement insuffisant.
Lorsque ces conditions sont remplies, la personne lésée est en droit de réclamer des dommages-intérêts et, cas échéant, une réparation pour le tort moral à l’auteur de l’acte dommageable.
ii) La responsabilité délictuelle
Il est également possible que le médecin soit recherché en responsabilité en-dehors de la relation contractuelle. Cela peut par exemple être le cas de tiers touchés indirectement par le dommage qui aurait été causé par les actes du médecin (exemple : le père d’un enfant né avec de multiples handicaps attaque en son propre nom, et pas au nom de son enfant, le médecin spécialiste en gynécologie, par exemple).
Dans ces cas, la responsabilité civile, dite aquilienne ou délictuelle, est fondée sur un acte illicite. La responsabilité aquilienne exige la réunion de quatre conditions :
- un acte illicite,
- un préjudice et
- un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre l'acte fautif et le dommage,
- une faute de l'auteur.
On entend par acte illicite l’action ou l’omission qui viole une norme protectrice des intérêts d’autrui. L'illicéité peut résulter de l'atteinte à un droit absolu du lésé, tel que la vie, l'intégrité corporelle ou la propriété (illicéité du résultat, Erfolgsunrecht), ou de la violation d'une norme de comportement destinée à protéger le lésé (Schutznorm) contre le type de dommage qu'il subit (illicéité du comportement, Verhaltensunrecht).
Les autres conditions sont identiques aux conditions énumérées dans le cadre de la responsabilité contractuelle.
Il appartient en principe à la personne qui réclame le dédommagement de son préjudice de prouver que les quatre conditions sont remplies.
Toutefois, comme dans le cadre de la responsabilité contractuelle, la démonstration que le médecin a commis un acte illicite, à savoir qu’il n’a pas suivi les règles de l’art de la profession ou a prodigué des soins sans le consentement du patient, revient en substance à démontrer également qu’il a commis une faute. Là encore, la « faute médicale » ou la « faute professionnelle » recouvre, dans le cadre de la responsabilité pour actes illicites, les deux conditions de l’acte illicite et de la faute. Ainsi, le patient peut en quelque sorte se limiter à prouver que trois des quatre conditions (acte illicite, préjudice et rapport de causalité) sont réunies, la condition de la faute étant alors « automatiquement » remplie.
b) La notion de prescription
Pour éviter des incertitudes trop longues, en particulier pour le médecin, le droit connaît le mécanisme de la prescription.
La prescription paralyse le droit d’une personne de faire valoir une prétention en justice. La prétention existe toujours, mais la personne ne peut plus réclamer le paiement ou l’exécution de sa prétention par une procédure de poursuite ou par une procédure judiciaire.
En procédure, il appartient toutefois à la personne recherchée en responsabilité de soulever l’exception de prescription. Le juge n’examine pas de lui-même si la prétention en responsabilité est prescrite ou non.
La prescription empêche le créancier de réclamer sa créance en justice. Néanmoins cette créance existe toujours et, si le débiteur honore sa dette, elle reste acquise au créancier.
Par exemple, un client paie au vendeur, au-delà du délai de prescription, la somme d’argent prévue pour l’objet qu’il lui a acheté. Si l’acheteur se rend compte par la suite que la dette d’argent était en fait prescrite et qu’il n’aurait pas eu l’obligation de l’honorer, il ne lui sera toutefois pas possible de réclamer au créancier, directement ou en justice, le remboursement de son paiement en invoquant la prescription. La somme versée à l’acheteur a éteint ce que l’on appelle une obligation naturelle.
c) Les délais de prescription
Les délais de prescriptions sont traités spécifiquement en cas de responsabilité contractuelle (i) ou en cas de responsabilité délictuelle (ii).
i) En matière de responsabilité contractuelle
Jusqu’au 31 décembre 2019, la personne lésée disposait d’un délai de dix ans pour agir contre l’auteur de la violation contractuelle. La jurisprudence considérait que ce délai de dix ans débutait le jour de la violation du devoir contractuel et pas seulement dès la survenance du dommage, qui pouvait être postérieur (par exemple dans un cas d’atteinte à l’amiante).
En matière de recouvrement des honoraires de médecin, la loi prévoit un délai de cinq ans, après quoi le médecin ne peut plus réclamer le paiement de ses honoraires non réglés.
Le 1er janvier 2020, le nouveau droit de la prescription est entré en vigueur et modifie certains délais de prescription.
Lorsqu’il y a lésions corporelles ou mort d’homme suite à une faute contractuelle, un nouveau délai a été introduit. Dans ce cas, l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, par vingt ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.
Le nouveau droit introduit dès lors un double délai en cas lésions corporelles ou mort d’homme.
Le délai relatif de trois ans débute lorsque la partie lésée a eu connaissance du dommage, à savoir lorsqu'il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice. La personne lésée ne peut toutefois pas attendre d’être totalement certaine de tous les éléments fondant sa prétention ; il suffit en effet qu’elle dispose d’assez d’éléments. Si la situation est évolutive, le délai de trois ans ne débute cependant qu’au moment où il est possible de prévoir avec suffisamment de certitude le dommage causé.
En tous les cas, quel que soit le moment où le dommage peut être suffisamment déterminé, la loi prévoit un délai absolu de prescription à vingt ans. Ce délai débute le jour du fait dommageable ou, si celui-ci est durable, dès qu’il a cessé. Ce délai intervient même si le dommage n’est pas connu.
Le délai absolu de prescription – très long par rapport aux habitudes jusqu’à ce jour vise à tenir compte des maladies dont les effets peuvent intervenir après une longue latence (par exemple à l’exposition à l’amiante ou à des rayons ionisants).
ii) En matière de responsabilité délictuelle
Jusqu’au 31 décembre 2019, la loi prévoyait un délai relatif d’une année à compter du jour où la personne lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne qui en est l’auteur et un délai absolu de dix ans dès le jour où le fait dommageable s’est produit.
La révision au 1er janvier 2020 du droit de la prescription a apporté les modifications suivantes :
- Le délai relatif d’un an est allongé à trois ans.
- En cas de lésions corporelles ou de mort d’homme, le délai absolu est allongé à vingt ans, le délai relatif étant également de trois ans dans ce cas de figure.
En outre, en application de la jurisprudence, il est désormais précisé que le début du délai de prescription intervient le jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé, pour les cas où l’action dommageable est durable.
Enfin, en cas d’infraction pénale, les délais pénaux s’appliquent s’ils sont plus longs que les délais décrits ci-dessus.
d) L’interruption de la prescription
Dans certains cas, le droit suisse permet une interruption de la prescription avec le début d’un nouveau délai de prescription de même durée.
Ainsi, la prescription est interrompue :
lorsque le débiteur reconnaît la dette, notamment en payant des intérêts ou des acomptes, en constituant un gage ou en fournissant une caution ;
lorsque le créancier fait valoir ses droits par des poursuites, par une requête de conciliation, par une action ou une exception devant un tribunal ou un tribunal arbitral ou par une intervention dans une faillite.
Il est en particulier important de noter que la prescription peut être interrompue par le dépôt d’une réquisition de poursuite, même si le commandement de payer n’est finalement pas notifié au débiteur parce que le créancier retire la poursuite avant la notification. Par conséquent, un délai de prescription peut avoir été interrompu et un nouveau délai, avoir recommencé sans que le débiteur n’en soit informé.
L’interruption du délai de prescription ne vaut pas pour les délais absolus de prescription.
2. Obligation de conservation du dossier médical (droit cantonal et code de déontologie FMH)
Le droit cantonal impose aux professionnels du domaine de la santé, à l'exception des droguistes, de tenir pour chaque patient-e un dossier indiquant le résultat des investigations, le diagnostic et les prestations fournies ou prescrites. En outre, les éléments du dossier doivent être conservés aussi longtemps qu'ils présentent un intérêt pour la santé du-de la patient-e, mais au moins dix ans.
Des discussions sont en cours afin d’adapter ce temps de conservation à l’augmentation du délai de prescription.
Actuellement, le code de déontologie de la FMH prévoit également un délai de conservation des dossiers médicaux à dix ans après la dernière inscription dans le dossier. La Chambre médicale FMH a toutefois adopté récemment une modification de cet article en allongeant le délai de conservation à vingt ans.
3. Accès au dossier (droit cantonal et code de déontologie FMH)
Selon le droit cantonal, le patient a le droit de consulter son dossier et de s'en faire expliquer la signification. Il peut s'en faire remettre les pièces, en original ou en copie, ou les faire transmettre au soignant de son choix, sans frais si cela ne génère pas un travail et/ou un coût importants pour le médecin.
Toutefois, ce droit ne s'étend pas aux notes rédigées par le soignant pour son usage personnel, ni aux données concernant des tiers et couvertes par le secret professionnel. Sont considérées comme faisant partie du dossier médical toutes les informations qui sont utiles à la prise en charge thérapeutique du patient.
De même, le code de déontologie de la FMH prévoit que le patient a le droit de prendre connaissance des éléments du dossier médical qui le concernent et d’obtenir des copies de son dossier, le médecin ne pouvant refuser, limiter ou suspendre ces droits que dans la mesure où les intérêts d’une tierce personne ou ses propres intérêts sont prépondérants.
En tous les cas, en cas de remise du dossier au patient, il est conseillé au professionnel de conserver également une copie ou l’original afin de pouvoir se défendre en cas de procédure.
II. Questions fréquentes
1. Les médecins employés d’un hôpital public sont-ils concernés ?
Dans le canton de Neuchâtel, les médecins employés par un hôpital public (par opposition aux médecins agréés) ne sont pas concernés par les mêmes règles de prescription. La responsabilité de tout le personnel d’un hôpital public est en effet régie par une loi neuchâteloise (LResp).
Reprenant les principes de la responsabilité civile (acte illicite, préjudice, rapport de causalité et faute), la LResp prévoit en effet une procédure et des délais différents pour le dédommagement subi à la suite des actes ou omissions d’un agent de l’Etat ou d’une collectivité publique. Premièrement, le lésé ne peut pas s’attaquer à l’auteur de l’acte ou de l’omission (en l’occurrence au médecin), mais il doit d’adresser soit au Département des finances et de la santé (pour un agent de l’Etat) ou à l’organe exécutif de la collectivité publique concernée (pour l’un de ses agent). Dans le canton de Neuchâtel, il convient d’adresser la demande directement au RHNe ou au CNP.
Ensuite, il est prévu un délai de péremption d’une année à compter du jour où le lésé a eu connaissance du dommage et de la collectivité publique qui en est responsable. Le dépôt de la demande d’indemnisation marque ensuite le début d’un nouveau délai de péremption : si la collectivité publique conteste les prétentions ou si elle ne prend pas position dans les trois mois, le tiers lésé doit introduire action dans un délai de six mois sous peine de péremption. La péremption a ceci de particulier qu’elle ne peut pas être interrompue comme la prescription.
2. Que se passe-t-il pour les délais de prescriptions dans les dossiers déjà ouverts au 1er janvier 2020 ?
Les délais de prescriptions qui ne sont pas échus au 1er janvier 2020 sont réglés par le nouveau droit de la prescription si celui-ci prévoit des délais plus long. A l’inverse, si à l’entrée en vigueur du nouveau droit de la prescription, celui-ci prévoit des délais plus courts, l’ancien droit continue à s’appliquer.
Par ailleurs, quel que soit le droit qui s’applique, les points de départs des délais ne sont pas modifiés.
a) En matière de responsabilité contractuelle
Dans le cadre de la responsabilité contractuelle, les effets du droit transitoire sont les suivants pour le nouveau délai absolu de vingt ans (i) et pour le nouveau délai relatif de trois ans (ii) :
i) Le délai absolu de vingt ans
Si, par hypothèse, un événement ayant causé1 des lésions corporelles ou mort d’homme a eu lieu au plus tard le 31 décembre 2009, selon l’ancien droit de la prescription, le patient devait agir jusqu’au 31 décembre 2019 ; dans ce cas, le délai était déjà échu au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit et le délai absolu n’est pas prolongé jusqu’à vingt ans.
En revanche, si cet événement ayant causé des lésions corporelles ou mort d’homme a eu lieu le 1er janvier 2010, le 1er janvier 2020 est le dernier jour de la prescription selon l’ancien droit. Le délai de dix ans de l’ancien droit n’était donc pas échu le jour de l’entrée en vigueur du nouveau droit de la prescription et les délais de prescription selon les nouvelles règles du droit de la prescription s’appliquent. En conséquence, en cas d’événement intervenu le 1er janvier 2010, le délai absolu de prescription interviendra le 1er janvier 2030.
ii) Le délai relatif de trois ans
En cas de lésions corporelles ou de mort d’homme, la loi prévoit désormais un délai relatif de trois ans, lequel est plus court que le délai de l’ancien droit en cas de violation contractuelle.
Selon les situations, ce nouveau délai de trois ans « raccourcit » ou « prolonge » le délai qui était imparti au patient selon l’ancien droit.
- Un patient a subi une erreur médicale provoquant des lésions corporelles le 20 février 2011 et a connaissance de son dommage le 25 avril 2018.
Dans le cadre de la responsabilité contractuelle, selon l’ancien droit, le délai de prescription, de dix ans, interviendrait le 20 février 2021.
Le nouveau droit a introduit un délai relatif de trois ans, qui, s’il s’applique, n’intervient que dès le 25 avril 2021.
Par conséquent, par le délai relatif de trois ans, le nouveau droit offre un délai de prescription plus long.
Dans ce cas de figure, le patient bénéfice du nouveau droit de la prescription et peut agir contre le médecin jusqu’au 25 avril 2021, ce qui allonge d’un peu plus de deux mois le délai qu’aurait eu le patient pour agir selon l’ancien droit.
- Un patient est victime le 20 février 2015 d’une erreur médicale provoquant des lésions corporelles et a connaissance de son dommage le 30 novembre 2018.
Dans le cadre de la responsabilité contractuelle, selon l’ancien droit, le délai de prescription, de dix ans, interviendrait le 20 février 2025.
Selon le nouveau droit, le délai relatif de trois ans pour agir serait échu le 30 novembre 2021.
Dans ce cas-là, l’ancien droit offre un délai de prescription plus long. C’est donc ce délai, de dix ans, qui s’applique, sans que les nouveaux délais, notamment le délai relatif de trois ans, n’interviennent.
Le patient continue donc à bénéficier de l’ancien droit et peut agir contre le médecin jusqu’au 20 février 2025, sans tenir compte du nouveau délai relatif de trois ans.
- Si le patient a subi une erreur médicale au plus tard le 31 décembre 2009, mais qu’il n’a connaissance de son dommage que le 15 février 2018, de sorte que le délai relatif de trois ans échoirait le 15 février 2021, il ne peut pas bénéficier du nouveau droit de la prescription. En effet, le délai de dix ans est déjà échu au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit, ce qui empêche l’application des délais plus longs prévus par le nouveau droit.
1 En cas d’événement ponctuel, c’est le moment de l’événement qui est déterminant. En cas d’événement sur la durée, c’est le moment où la cause du préjudice cesse de produire ses effets qui est déterminant.
b) En matière de responsabilité délictuelle
Il n’existe en définitive pas de cas de figure où les délais de prescription de l’ancien droit seraient plus généreux que les délais de prescription du nouveau droit.
Dès lors, si, au 1er janvier 2020, les délais de prescriptions ne sont pas échus, le nouveau droit s’applique pour les situations où les délais sont désormais plus longs. C’est toujours le cas pour le délai relatif, allongé à trois ans, et c’est également le cas, en cas de lésions corporelles ou de mort d’homme, pour le délai absolu, allongé à vingt ans.
Par conséquent, le nouveau droit s’appliquera :
- pour le délai relatif, si le patient a eu connaissance de son dommage et de son auteur au plus tôt le 1er janvier 2019, le délai relatif d’un an sera allongé à trois ans.
Ainsi, si le patient a eu connaissance de son dommage et de l’auteur de ce dernier le 1er janvier 2019, le délai relatif échoira le 1er janvier 2022, et plus le 1er janvier 2020.
- Pour le délai absolu, en cas de lésions corporelles ou de mort d’homme, si le fait dommageable a eu lieu ou a cessé de produire ses effets au plus tôt le 1er janvier 2010, le délai absolu de dix ans sera allongé à vingt ans.
Ainsi, si le fait dommageable a eu lieu ou a cessé de produire ses effets le 1er janvier 2010, le délai absolu échoira le 1er janvier 2030, et plus le 1er janvier 2020.
3. Si j’ai archivé des dossiers qui contiennent des éléments de plus de dix ans au 1er janvier 2020 et que le patient n’a pas été revu depuis plus de dix ans, est-il conseillé de les conserver quand-même durant vingt ans ?
En principe, il n’y a pas de risque encouru du point de vue de la prescription (cf. rép. 2).
Toutefois, dans la mesure où le code de déontologie de la FMH prévoit prochainement que les dossiers doivent être conservés pendant une durée de vingt ans depuis la dernière inscription, le médecin qui se départirait aujourd’hui du dossier de son patient violerait les règles déontologiques de la profession et encourrait les sanctions prévues à cet effet.
En outre, la prolongation du délai de conservation à vingt ans dans la législation cantonale étant (très) possible, ce médecin encourrait également des sanctions administratives cantonales.
A ce jour, il est donc déconseillé de se départir d’un dossier avant le délai de conservation de vingt ans à compter dès la dernière inscription.
4. Si j’ai archivé des dossiers de mon prédécesseur qui contiennent des éléments de plus de dix ans au 1er janvier 2020 et que le patient n’a jamais été vu par moi, est-il conseillé de les conserver quand-même durant vingt ans ?
Le contrat de reprise du cabinet doit en principe régler ce problème.
A défaut, il convient d’être prudent et de traiter ces dossiers comme s’ils avaient été suivis par le repreneur en appliquant les mêmes principes de conservation (cf. rép. 3).
5. Si j’ai archivé des dossiers qui contiennent des éléments de plus de dix ans au 1er janvier 2020 et que le patient continue d’être encore suivi par moi, est-il conseillé de les conserver quand-même durant vingt ans ?
Oui, étant précisé que le dossier peut devoir être conservé plus longtemps, lorsqu’il présente un intérêt pour la santé du patient.
6. Est-ce que les questions/réponses ci-dessus concernent également les patients décédés ?
Oui.
7. Comment procéder lors de départ en retraite ? En particulier, où et combien de temps stocker les dossiers
A défaut de transmission du dossier à un confrère ou une consœur (que ce soit par une remise du cabinet ou le transfert du suivi du patient), le dossier doit être conservé pendant vingt ans dans un lieu sécurisé.
8. En cas de décès du médecin :
a) Est-ce que c’est la descendance qui doit garder les dossiers ?
i) Du point de vue de la responsabilité civile
L’action en responsabilité ne peut être dirigée que contre la personne à qui cette responsabilité incombe, à savoir en l’occurrence le médecin.
Si ce dernier est déjà décédé au moment où la personne lésée agit, les héritiers ne peuvent pas être recherchés en responsabilité. En revanche, si le procès en responsabilité est déjà ouvert, les héritiers prennent la place du défunt dans la procédure, à moins de répudier la succession. Par conséquent, les héritiers du médecin peuvent devoir avoir besoin des informations conservées dans les dossiers.
ii) Du point de vue de l’obligation de conserver les dossiers
Cela étant, à défaut de transmission du dossier à un confrère ou une consœur (que ce soit par une remise du cabinet ou le transfert du suivi du patient), le dossier doit être conservé pendant vingt ans dans un lieu sécurisé.
b) Que se passe-t-il au niveau des éventuelles procédures en cours et à venir ?
Une éventuelle procédure pénale se termine à la mort de l’accusé. Si la personne lésée décède sans avoir renoncé à ses droits, ses proches (à savoir, son conjoint, son partenaire enregistré, ses parents en ligne directe, ses frères et sœurs germains, consanguins ou utérins ainsi que ses parents, frères et sœurs et enfants adoptifs) peuvent continuer le procès pénal.
Au stade du recours dans une procédure pénale, les proches ne peuvent agir après le décès du prévenu ou de la personne lésée que si leurs intérêts juridiquement protégés ont été lésés.
Une procédure civile déjà en cours incombera aux héritiers du médecin qui acceptent la succession de ce dernier. En cas de répudiation de tous les héritiers, la suite de la procédure sera prise en charge par l’office des faillites. Dans ces deux cas, l’assurance RC devrait couvrir le dommage qui serait reconnu en fin de procédure, dans la mesure où l’événement dommageable a eu lieu au moment où la couverture était en vigueur et en fonction des conditions générales de l’assurance RC.
Il en est de même si c’est la personne lésée qui vient à décéder en cours de procédure.
Aucune nouvelle procédure civile ne peut être ouverte après le décès du médecin.
9. Quels sont les risques encourus si le médecin ne respecte pas les prescriptions en matière de conservation des dossiers ?
a) Du point de vue de la responsabilité civile
En cas de procédure civile en responsabilité contre lui, de manière simplifiée et même s’il revient au patient d’apporter la preuve que les conditions de la responsabilité civile sont remplies (cf. A/1/a), le médecin se défendra principalement en démontrant qu’il n’a pas violé les règles de l’art ou manqué de recueillir le consentement du patient (absence de violation des obligations contractuelle ou d’actes illicites, soit également absence de faute) ou doit pouvoir démontrer qu’il n’a pas commis de faute. Cas échéant, il devra également défendre l’absence de qu’il n’y a pas lien entre ses actes et le dommage subi par le patient (absence de rapport de causalité, naturelle ou adéquate).
En outre, le médecin devra collaborer lors d’une éventuelle procédure judiciaire, notamment en produisant le dossier médical, à la demande du patient, puis du tribunal. Si le médecin n’est pas en mesure de remettre ce dernier, le tribunal en tiendra compte dans la manière qu’il juge l’affaire. En particulier, si l’absence de dossier résulte du non-respect des prescriptions en matière de conservation des dossiers médicaux, cela pourrait avoir un impact négatif sur l’appréciation des faits par le tribunal. Le médecin est en effet fautivement dans l’impossibilité de produire ce dossier.
Par conséquent, le médecin recherché en responsabilité a besoin des éléments qui figurent au dossier pour prouver sa position et collaborer à une éventuelle procédure judiciaire. Il est toujours possible d’établir un fait par des témoignages ou d’autres documents. Toutefois, les informations qui sont contenues dans le dossier du patient pourraient se révéler extrêmement (plus) utiles et pertinentes.
En se débarrassant d’un dossier avant l’échéance de la prescription, le médecin perd ainsi des moyens de défense. Le risque pour lui est d’être condamné à réparer le dommage subi par le patient.
b) Du point de vue de l’obligation de conserver les dossiers
Le médecin qui viole son obligation de conserver les dossiers conformément à la législation cantonale neuchâteloise et au code de déontologie court le risque d’être sanctionné sous l’angle administratif (canton) et sous l’angle déontologique (SNM et FMH).
Partie B, par :
Me Rachel Christinat, Avocate au barreau, docteure en droit, associée au sein de l’Etude Schaller & Associés, Neuchâtel
B. Assurance en responsabilité civile
Le droit fédéral dresse la liste des devoirs professionnels du médecin, qui travaille sous sa propre responsabilité professionnelle, sur laquelle figure l’obligation de conclure une assurance responsabilité civile professionnelle (ci-après : assurance RC). La couverture d’assurance doit être adaptée à la nature et à l’étendue des risques qui découlent de l’activité du praticien. Cette obligation ne contraint pas les médecins qui sont engagés par un hôpital public, car leur activité est soumise aux règles sur la responsabilité civile de droit public, c’est-à-dire à la responsabilité étatique.
Pour obtenir l’autorisation de pratiquer sous sa propre responsabilité professionnelle, le médecin doit fournir une attestation d’assurance RC. Celui qui n’est plus couvert (ou dont la couverture est insuffisante) durant l’exercice de son activité s’expose à une sanction disciplinaire, voire au retrait de son autorisation de pratiquer. Outre les difficultés liées à l’exercice même de la profession, une couverture d’assurance RC insuffisante est préoccupante pour le praticien. En effet, lorsqu’il viole malencontreusement ses règles de l’art ou son devoir d’information et que le patient subit un préjudice à cause de ce manquement, le praticien engage sa responsabilité personnelle. De de ce fait, il peut être contraint de réparer le préjudice subi par le patient en lui versant une somme d’argent. Le montant de cette indemnité réparatrice peut être élevé en cas de préjudice corporel. Le médecin a donc tout intérêt à s’assurer correctement.
Le médecin et l’assureur concluent un contrat d’assurance RC. La loi fédérale sur le contrat d’assurance régit globalement la matière. Elle laisse néanmoins une marge de manœuvre conséquente aux parties au contrat d’assurance RC, de sorte que toutes les compagnies d’assurance ont adopté des conditions générales d’affaires (ci-après : CGA) qui précisent la couverture. En outre, le contrat que le médecin conclut avec l’assureur peut encore affiner la couverture. Considérant les nombreuses variantes existantes, la présente contribution ne peut pas indiquer les démarches effectives que chaque praticien devrait entreprendre vis-à-vis de son assureur. Elle se borne par conséquent à relever les points d’attention qui méritent une vérification :
- Le médecin doit prendre le temps de lire et d’assimiler non seulement sa police d’assurance, mais aussi l’intégralité des CGA qui y sont annexées. Etant soumis à une forte pression de résultats, les courtiers en assurance ont plutôt tendance à exposer les avantages du produit qu’ils proposent et à en taire les inconvénients. Qui plus est, ils ne connaissent pas forcément les règles professionnelles qui régissent l’activité médicale. Certaines conditions de l’assurance peuvent ainsi rester sous silence lors de l’entretien avec le courtier alors qu’elles sont déterminantes pour le médecin. Ce dernier doit par conséquent prendre connaissance des documents précités. Seules la police d’assurance signée et les CGA annexées feront foi en cas de sinistre.
- Les assurances RC doivent être adaptées au nouveau droit de la prescription, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2020. Partant, l’assurance RC doit désormais couvrir une prescription de 20 ans. De même, la couverture doit être maintenue encore 20 ans après la cessation de l’activité du médecin.
- La loi impose au médecin de déclarer le sinistre, soit la survenance d’un cas de responsabilité civile médicale, aussitôt qu’il en a connaissance. La plupart des CGA prévoient que cette déclaration doit revêtir la forme écrite. Si le médecin contrevient par sa faute à cette obligation, la loi permet à l’assureur de réduire l’indemnité à la somme qu’elle comporterait si la déclaration avait été faite à temps. De plus, l’assureur n’est pas lié par le contrat d’assurance RC si le médecin omet de faire immédiatement la déclaration dans l’intention d’empêcher l’assureur de constater en temps utile les circonstances du sinistre. La position du médecin peut être inconfortable dans les cas où un patient semble se plaindre de sa prise en charge sans formuler clairement une demande de réparation. Il est effectivement fréquent en pratique qu’un patient réclame des explications au médecin pour établir les circonstances de sa prise en charge, sans émettre de prétentions. Dans cette hypothèse, le patient réclame une indemnisation seulement après avoir instruit la cause. Or le médecin est déjà entré en discussion avec le patient et l’assurance pourrait tenter de reprocher au praticien une déclaration tardive du sinistre. Par ailleurs, le médecin qui annonce plusieurs sinistres pourrait subir une augmentation de ses primes. Le praticien peut ainsi être tenté d’attendre que le patient revendique clairement la réparation d’un préjudice pour déclarer le sinistre. Pour éviter qu’une telle situation se produise, le médecin devrait négocier avec son assureur la possibilité de procéder à des annonces préventives qui n’augmentent pas les primes. De cette manière, dès qu’un patient semble contester sa prise en charge sans (encore) émettre de prétentions en réparation d’un préjudice prétendument causé par une erreur du médecin, celui-ci annonce le cas préventivement à l’assurance. Dans ce contexte, l’assureur RC peut immédiatement fournir une assistance précieuse au médecin. Si le patient revendique la réparation d’un préjudice, le praticien doit procéder à la déclaration formelle du sinistre. L’assureur RC, qui a pu intervenir dès les premiers signes d’une réclamation, ne peut pas reprocher au médecin d’être entré en discussion avec le patient et de lui avoir fourni des renseignements sans son accord.
Pour rappel, le médecin est tenu au secret professionnel lorsqu’il déclare un cas à l’assurance. Dans une annonce préventive, il est vivement recommandé de ne pas dévoiler l’identité du patient, en mentionnant seulement le numéro de dossier ou les initiales du patient. En cas de déclaration d’un sinistre, le médecin doit demander au patient de le délier du secret professionnel à l’égard de l’assureur RC. Si le patient refuse, le médecin déclare sans délai le cas à son assurance en respectant l’anonymat du patient et demande parallèlement à l’autorité de surveillance de lever ledit secret.
- En cas de sinistre, les parties au contrat d’assurance RC peuvent chacune résilier le contrat. Dans ce cas, l’assureur est tenu de couvrir le sinistre en cause, mais la couverture d’assurance cesse en principe quatorze jours après la résiliation, qui peut elle-même intervenir jusqu’au paiement de l’indemnité. Si l’assureur utilise cette possibilité de résiliation, le médecin est contraint de conclure un nouveau contrat d’assurance RC pour pouvoir continuer d’exercer sous sa propre responsabilité professionnelle. Les assureurs que le médecin approchera demanderont sans doute si le praticien a déjà engagé sa responsabilité civile médicale. Le médecin doit l’indiquer, au risque de commettre une réticence dans le cas contraire. Comme l’assurance RC repose sur un contrat de droit privé entre l’assureur et le médecin, aucune compagnie n’est tenue d’assurer le praticien. Un médecin dont un assureur aurait déjà résilié le contrat en raison d’un sinistre pourrait ainsi se heurter à un refus de couverture de tous les autres assureurs RC. Dans cette hypothèse le médecin pourrait perdre son autorisation de pratiquer sous sa propre responsabilité professionnelle. Il est donc recommandé au praticien de négocier une clause selon laquelle l’assurance RC renonce au droit de résilier le contrat en cas de sinistre.
Voilà les recommandations principales qui peuvent être adressées au médecin en lien avec l’assurance RC. Il convient enfin de préciser que les compagnies d’assurance emploie le plus souvent des juristes qui sont spécialisés en droit de la responsabilité civile. Lorsqu’un cas se produit, l’assurance qui est informée immédiatement apporte un réel soutien au médecin dont la responsabilité est mise en cause. L’assurance emploient le plus souvent des juristes qui sont spécialisés en droit de la responsabilité civile. Lorsqu’un cas se produit, l’assurance qui est informée immédiatement apporte un réel soutien au médecin dont la responsabilité est mise en cause. L’assurance intervient en principe aux côtés du médecin, voire le représente déjà dans les discussions avec le patient. Il est donc déterminant de maîtriser précisément la procédure de déclaration à suivre et de la respecter scrupuleusement, afin que cette collaboration étroite s’instaure. Comme susmentionné, un moyen efficace pour favoriser de bons rapports avec l’assureur RC consiste à convenir d’un système d’annonces préventives.