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Diagnostiquer et traiter la dé-pression 沮

Duc Lê Quang | Fondation Lê Quang - Marais 46 - 2300 La Chaux-de-Fonds 
Version réécrite de l’exposé présentée à la formation continue du 14.12.2021 à la Permanence Volta de La Chaux-de-Fonds

SNM News ¦ Diagnostiquer et traiter la dé-pression 沮 - N°107

Un détour par l'écriture idéographique chinoise permet de déplier (ex-pliquer) ce qui est pris dans le pli de la langue à partir de laquelle nous pensons la dépression et que, par là-même, nous ne pouvons pas la penser complètement. Cet impensé, le soupir, met en lumière le processus dépressif comme une stratégie du vivant pour réguler l'organisme en sur-pression qu'il faut aider à dé-pressuriser par des techniques de l'esprit (parler) et des techniques du corps (respirer).
 

Pourquoi passer par le chinois pour parler de la dépression ?

J'y vois trois raisons. Tout d'abord de par mes origines vietnamiennes, j'ai dû, dans ma pratique psychiatrique et psychothérapique (apprise à Louvain et à Lausanne), aménager une place aux traditions chinoises - à savoir le bouddhisme (le moi est illusion), le confucianisme (l'ordre du monde commence par l'ordre en soi-même) et le taoïsme (est vrai ce qui fonctionne), qui ont imprégné mon pays durant dix siècles et qui m'ont éduqué depuis l'enfance. Ensuite l'idéographie chinoise est un formidable outil pour déconstruire les concepts forgés depuis la Grèce antique. En effet, la pensée chinoise est une pensée en chinois c'est-à-dire :  1. Une pensée imagée qui donne un accès immédiat à l'idée (image et idée ont une même étymologie) 2. Une pensée où objet et sujet se confondent dans une relation d'immanence qui se passe de toute transcendance (de l'idée de Dieu) ou d'un être-en-soi (sans ontologie) 3. Une pensée vectorisée par l'infinitif (les mots ne se laissent pas substantiver) car le chinois est une langue isolante (par opposition au français qui est une langue flexionnelle : qui décline ses formes), sans conjugaison (le temps chinois est cyclique défiant l'éternité), sans déterminant de nature, de genre ou de nombre (masculin, féminin, vivant ou inanimé, singulier ou pluriel gardent la même forme lexicale). Enfin, cet autre pôle de l'expérience humaine (d'un dehors des langues indo-européennes) donne accès à ce qui n'est pas pensé - l'angle mort ou l'impensé, à partir de la langue avec laquelle je pense et donc que je ne pense pas[1] ! Ainsi ma proposition est de vous faire découvrir, d'après cinq notions majeures de la pensée chinoise Yin-Yang 陰 陽, Tao 道, Wu 無, Ren 仁, Xin 心, ce qui se joue dans l'inconscient lorsque nous traitons de la dépression et ceci pour en faire un usage clinique efficient.
 

Comment identifier à coup sûr un épisode dépressif ?

En présence d'une tristesse et d'un sentiment de déplaisir (anhédonie) tous les jours durant les deux dernières semaines, on a un dépistage fiable par le Patient Health Questionnaire (sensible 97% spécifique 67%). Si l'on ajoute la fatigue, on a le code F32 de la CIM-10 comme troisième critère majeur.  Pour la pratique de tous les jours, je demande toujours si le sommeil et l'appétit sont encore conservés. Car ce sont parfois les premières voire uniques expressions neurovégétatives du désordre dépressif. Nous touchons, avec ces symptômes dits "somatiques", les dimensions végétatives versus cognitives de la dépression (perte de confiance, culpabilité, pessimisme, déconcentration ou idées noires). 

 

* Texte accessible sur internet

[1] JULLIEN F. L'écart et l'entre. Ou comment penser l'altérité. FMSH. 2012. halshs-00677232 *

 

Et si le patient dit qu'il n'est pas du tout déprimé ?

En effet, la dépression ne se réduit pas qu'à la dimension de l'humeur dans laquelle on aurait tendance à la catégoriser. Une dépression peut être plus ou moins agitée, inhibée voire paradoxalement souriante que l'on retrouve dans le DSM-V. D'où des malentendus même pour les experts du DSM-V :  le coefficient kappa de fidélité inter-juges de l'épisode dépressif majeur est de 0.28[1] ! Si le patient nous dit qu'il n'est pas déprimé mais qu'il est stressé (fight ou flight) ou qu'il a surtout mal (somatisation) ou encore qu'il est fatigué (freezing) comment lui délivrer notre diagnostic et notre ordonnance d'antidépresseur ? Ou encore, sur un plan existentiel, si le sujet déprimé vit un changement qui nécessite une nouvelle adaptation (allostasie : un nouveau point d'équilibre d'homéostasie) comme un deuil ou une naissance, un divorce ou un mariage ou un nouveau travail, en quoi est-ce maladif ? C'est la vie après tout ! Comment faire la part entre l'eustress (ce qui me rend heureux et me stimule) et le distress (ce qui m'entraîne vers la détresse) ?
 

Alors il faut lui expliquer que son organisme est en mode de survie dépressive.

Je soumets à votre appréciation la notion de dépressivité de Pierre FEDIDA[2]. La dépressivité est une capacité propre au vivant à s'immobiliser, à s'hiberner (freezing) face aux changements qui l'affectent - le mal, le malheur ou la malchance : penser, agir, parler sont anéantis. L'humanité disparaît derrière l'apparence d'un mort-vivant. Elle est proche de la dépression vitale de Roland KUHN, le découvreur de l'imipramine, qui montre en creux le dynamisme de la vie psychique en se préservant ainsi face aux bouleversements et surtout face à l’animation de la vie qui peut être éprouvée comme une violente menace de mort sur la vie. Toute mise en mouvement est d’autant plus terrifiante qu’elle paraît entraîner dissociation et épuisement. Pour l'imager, c'est l'écran noir du mode sans échec de Windows qui, en ne chargeant que les programmes essentiels (et dans un langage basique DOS), permet de faire un diagnostic de ce qui met en panne le système. Dans ce sens, l'état dépressif est l'échec de la capacité à se déprimer, à se dépressuriser : il nous faut de la dépressivité pour rester vivant.

Ce sera ma 1ère relecture chinoise de la dépression comme une non-maladie soit un moyen spontané du vivant à s'enlever le surplus de pression qui arrête le fonctionnement des choses (en chinois dépression montre l'image de l'eau ⺡ qui butte contre un obstacle 且). Dépression s'écrirait alors comme -pression.
 

Pourquoi ça s'enlise alors que l'on a bien prescrit un antidépresseur ?

Les antidépresseurs fonctionnent mais que dans deux cas sur trois seulement ! La faute incombe aux modèles et donc aux hypothèses qui les sous-tendent pour valider l'effet antidépresseur d'une molécule[3]. Il faut quand même se rappeler que la dépression est une entité syndromique qui dicte d'ailleurs nos choix de prescriptions p.ex. en donnant un antidépresseur plus sédatif (paroxétine) quand le patient dépressif est agité ou plus stimulant (fluoxétine) quand il est apathique ou boulimique, ou avec effet hypnotique (agomélatine, trazodone) s'il est insomniaque ou qu'il est douloureux (duloxétine).

Pour vous illustrer la pertinence toute relative des modèles animaux de la dépression, prenons la tristesse, l'un des deux symptômes majeurs de la dépression avec le déplaisir, classiquement testée avec la nage forcée pour mesurer le désespoir. La souris au début se débat puis finit par s'immobiliser. Si on lui donnait une molécule validée antidépresseur elle lutterait alors plus longtemps. En effet, en terme de comportement, l'humeur dépressive/tristesse se voit dans le retrait, le désengagement et la lenteur. Mais l'immobilisation peut aussi traduire un comportement

 

[1] GUELFI JD. La dépression dans le DSM-V. Fondation Deniker. Livre blanc de la dépression. Article n°24. 2016 *

[2] BÉGUIN T., LAVIOLLE J. À propos du travail de P. Fédida sur la dépression. L’Information Psychiatrique 2006 ; 82 : 253-7 *

[3] PLANCHEZ B., SURGET A., BELZUNG C. Animal models of major depression : drawbacks and challenges. J. Neural Transmission 2019. 126:1383-1408 *

 

adaptatif et/ou de fatigue face à une situation sans issue[1]. Les paramètres comportementaux ne reproduisent que partiellement l'état clinique. De même on ne peut pas modéliser chez l'animal les sentiments d'inutilité, de culpabilité ou de mort.

Pour vous illustrer l'apport de nouvelles voies explicatives à la dépression[2], prenons la douleur, celle qui s'est muée en plainte persistante, a priori disproportionnée par rapport à l'atteinte lésionnelle, celle où l'on dit que "c'est dans la tête" ou, de manière plus diplomatique, "c'est le stress". C'est bien les deux à la fois : la douleur physique finit par engendrer un fardeau de souffrance morale. L'élévation du cortisol systémique bien objectivée dans les modèles de stress montre une hyperactivation de l'axe hypothalamus-hypophyse-surrénale HHS qui favorise un état inflammatoire de la microglie par la production de cytokines pro-inflammatoires (IL-2 IL-6 TNF-a, IFN-g) qui perturbent la neurogenèse et la neuroplasticité dans l'hippocampe (baisse BDNF et VEGF). Il y a également détournement du tryptophane au niveau des cellules gliales et astrocytaires pour produire de la kynurénine qui est neurotoxique, au lieu de la sérotonine. C'est à ce niveau qu'agit l'eskétamine validée récemment pour lever rapidement la suicidalité. On a pu montrer que des souriceaux maltraités par leur mère montraient des anomalies de l'axe HHS à l'âge adulte face au stress. Aujourd'hui les hypothèses neuroendocrinienne et neuroinflammatoire complètent l'hypothèse dominante monoaminergique (déplétions sérotonine, noradrénaline, dopamine). Et il faut encore ajouter les avancées sur l'axe intestin-cerveau où le microbiote participe au bon fonctionnement cérébral.  

Les diagnostics CIM et DSM font d'ailleurs l'objet depuis dix ans d'une déconstruction aux Etats-Unis : reclasser les troubles mentaux selon les dimensions qui traversent les catégories diagnostiques[3]. La psychiatrie du futur pourrait se baser sur la mise en évidence des dimensions (domaines) qui se manifestent dans telle ou telle entité psychiatrique peu ou prou (spectre) étayée par des évidences des neurosciences, allant des gènes jusqu'à la conscience, le tout inscrit dans une perspective neurodéveloppementale selon laquelle l'interaction gène-environnement déclenche les troubles psychiatriques (Fig.1). "Ainsi, sur un terrain génétique particulièrement sensible, en particulier en cas d’antécédent de facteur traumatique dans l’enfance, un événement de vie stressant pourrait-il déréguler la voie du cortisol et entraîner un état systémique pro-inflammatoire. Les répercussions cérébrales de ces phénomènes au niveau de la neurogenèse et au sein de la neurotransmission pourraient alors participer au déclenchement de symptômes dépressifs."[4] Dans le cadre des critères de recherches de domaines RDoC, lancé voici dix ans par la NIMH pour dépasser les catégories CIM/DSM, la dépression relève de la valence négative (perte et menace/peur) et positive (motivation/récompense).

Ma 2è relecture chinoise de la dépression est qu'il y a des dépressions selon les voies physiologiques atteintes qui restent encore à déchiffrer selon les modèles de recherche adoptés. Dépression s'écrirait alors des-pressions.

 

[1] SU J. et al. A Test–Retest paradigm of the forced swimming test in female mice is not valid for predicting antidepressant-like activity: participation of acetylcholine and sigma-1 receptor. J Pharmacol Sci 123, 246 – 255 (2013) *

[2] GAUTHIER C., GAILLARD R., KREBS M-O. Neurobiologie de la dépression. in Frank Bellivier et al., Actualités sur les maladies dépressives. Lavoisier . "Psychiatrie" 2018. pp 340-353 *

[3] CUTHBERT B. Le cadre de travail des RDoC : faciliter la transition de la CIM et du DSM vers des approches dimensionnelles qui intègrent les neurosciences et la psychopathologie : 2021, pp.75 -85.10.1016/j.amp.2020.11.013 hal-03199505‌ *

[4] GAUTHIER op.cit.

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Fig.1 La matrice RDoC génère un cadre de recherche pour l’étude des troubles mentaux. Elle intègre de nombreux niveaux d’information (de la génomique et des circuits au comportement et à l’auto-évaluation) pour explorer les dimensions de base du fonctionnement qui couvrent toute la gamme du comportement humain du normal au pathologique. (Image du NIMH RDoC).
 

Et si la résistance du déprimé renvoyait à la résistance du médecin ?

Un algorithme sert à nous aiguiller sur la bonne voie dans l'arbre décisionnel[1] : oui ou non. Passé le dépistage, surtout chez les sujets à risque (alcool, passif psychiatrique, maladies physiques associées, problèmes au travail, à la maison ou de médication) et une fois labellisé DSM/CIM, on se retrouve face à la dangerosité de la dépression : sa sévérité, son degré d'urgence, sa potentielle suicidalité voire son étrangeté qui, prises ensemble, vont affecter le soignant. Et il suffit d'un oui affirmant la présence du danger et l'affaire s'arrête-là : aux psychiatres de s'en occuper ! Mais les psychiatres eux aussi peuvent vivre exactement la même chose ! La tentation peut être grande, humainement parlant, d'interner … Le désespéré, en effet, peut se retrouver enfermé à cause des contre-attitudes du soignant, la faute à la fatigue, au manque de temps ou d’expérience, à la peur ou à l'hostilité du malade ou l’absence de conditions favorables pour un entretien au calme. Plus pernicieuse est la pression de la famille qui pousse à se débarrasser du patient-symptôme. Nous devons nous poser cette question : "Est-ce que je possède et communique des croyances sur le suicide qui pourraient faire que le patient se sente mal à l’aise lorsqu’il m’en parle ? Autrement dit : "Est-il vrai que je crois que le suicide soit un signe de faiblesse, de péché ou bien un sujet tabou voire illogique et qu'il faut toujours hospitaliser ?"[2]

Ma 3è relecture chinoise est qu'il faut se défaire de nos prises de position pour nous rendre suffisamment disponible afin d'envisager tous les possibles pour que le travail de crise aboutisse à un changement durable. Or dans tout désespoir, ce que cherche le désespéré avant tout c'est le non changement. "Que tout redevienne comme avant docteur ! ". D'emblée c'est à la résistance qu'aura affaire le soignant et pour commencer la sienne ! Cette barrière au traitement déresponsabilise le patient et sur-responsabilise le soignant. Dépression s'écrirait alors -pression au sens d'enlever la pression comme déjà discuté mais cette fois-ci sur le soignant au détriment du soigné.
 

Pourquoi faut-il être deux pour guérir ?

Il faut être deux pour guérir à cause du tiers non-répondeur au traitement antidépresseur même bien conduit. Voici deux vignettes cliniques pour vous illustrer comment transformer une molécule en médicament par du lien sécure c'est-à-dire fiable et prédictible.

1er cas Marie, la trentaine me consulte pour un deuxième épisode dépressif. Elle peine à finaliser son travail de diplôme. Mais cette fois-ci, elle ne veut absolument pas d'antidépresseur qui l'avait rendue complètement amorphe au premier épisode. Cependant la soigner sans aucun psychotrope me paraissait être un défi, vu son état diminué (insomnie, peur, tension visible). Par contre, elle insistait pour faire un travail plus en profondeur et ne pas simplement soulager les symptômes par des médicaments. J'ai trouvé un compromis avec de la lavande et du millepertuis pour soutenir nos séances hebdomadaires. Se prêter comme un vis-à-vis humain c'est-à-dire vivant permet de réanimer ce qui est mortifié chez le sujet déprimé : raconte-moi ton histoire ! Je décris ce travail comme la remasterisation d'un vieux film : mettre de la couleur là où le patient ne perçoit qu'en noir et blanc et mettre un sous-titrage - l'interprétation qui amplifie le sens, pour mieux saisir la version originale. En l'occurrence chez Marie, j'avais affaire à une agression enfouie dans sa pré-histoire.

2è cas Didier, aussi la trentaine me consulte pour du surmenage avec ulcère gastrique avéré. Il avait subi quelques années auparavant une transplantation de la flore intestinale dévastée par une guerre entre germes agressifs et antibiothérapie robuste. Son baromètre de peur, c'est son estomac qui ne digère pas ses frustrations et colères. C'est un employé modèle qui aime le travail bien fait et qui est donc perfectionniste. Un tel débordement anxieux neuro-végétatif m'a obligé à lui prescrire, avant toute psychothérapie, du clonazépam pour avoir un tapis d'anxiolyse et du zolpidem pour dormir. En effet, il faut d'abord calmer l'anxiété et le manque de sommeil, sources d'handicap. Puis lui montrer qu'un antidépresseur est à suivre et nécessitera  quinze jours pour agir car si l'on laisse aller c'est le système limbique qui bientôt va en pâtir avec ce qui s'en suit : oublis, perte de concentration et de motivation. Il accepte un SSRI sans être vraiment convaincu qu'il soit déprimé car il dit être surtout surmené. Comme dans le cas de Marie, le travail du récit est laborieux. Il peine à reconstruire sa biographie, à l'image de sa filiation : confuse. Dès lors, je complète mon dispositif en lui apprenant à respirer pour asservir son système nerveux autonome SNA en particulier vagal, et donc reprendre de la maîtrise sur le débâcle neuro-végétatif de ses entrailles. Au dernier contrôle gastroscopique, il n'y a plus d'ulcération mais juste une irritation.

Voici un schéma (Fig.2) qui illustre l'état de désordre que peut ressentir Marie ou Didier dans leur organisme et qui se manifeste en détresse perceptible ou en ulcère visible (éléments ß), à l'interface entre monde interne et monde externe, mettant soigné et soignant en relation. Il faut être deux pour "prendre ensemble" (cum-prehendere : comprendre), pour boucler la boucle qui va constituer le noyau du Moi : la complétude d'un organisme qui ne se développe qu'au gré de la satisfaction d'un déplaisir (besoin/pulsion : ça) procurée par un alter ego (la mère ou le soignant comme fonction maternante α). FREUD écrit en 1899 (Esquisse d'une psychologie scientifique) : "L'organisme humain, à ses stades précoces, est incapable [pour satisfaire son besoin] de provoquer cette action spécifique qui ne peut être réalisée qu'avec une aide extérieure et au moment où l'attention d'une personne bien au courant se porte sur l'état de l'enfant. Ce dernier l'a alertée, du fait d'une décharge se produisant sur la voie des changements internes (par ses cris, par exemple). La voie de décharge acquiert ainsi une fonction secondaire d'une extrême importance : celle de la compréhension mutuelle". Nous sommes ainsi passés de l'espace cellulaire à l'espace corporel puis à l'espace social, de "l'impuissance originelle de l'être humain qui devient [ainsi] la source première de tous les motifs moraux"[3].

Ma 4è relecture chinoise de la dépression est à l'image de la dépression météorologique qui crée un appel d'air. La naissance de notre humanité, l'ex-pression du cri qui se transforme en parole, passe par une présence rimbaldienne : je est un autre.  

 

[1] OBERLE L., BROERS B., SAILLANT S., JUNOD N. La dépression. HUG. Département de médecine de premiers recours 2017 *

[2] SHEA S C. Evaluer le potentiel suicidaire : comment  intervenir pour prévenir. Elsevier-Masson. 2008

[3] THURIN JM. Niveaux dans le modèle freudien du psychisme. In Modèles pour le psychisme. Barrois et al. Eshel et Med & Hyg.1992. Genève. pp.169-200

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Fig.2 Des choses en soi innommables et indigestes dans l'espace corporel sont manifestés par une agitation musculaire, des cris, des émotions. Depuis l'extérieur, ces éléments ß bruts et toxiques, vont être métabolisés en éléments α suffisamment digestes pour l'organisme (pensées) par un Autrui concerné. Du sensoriel est ainsi transformé par la fonction α (la capacité de rêverie de la mère) en forme mentale.
 

Pourquoi soupire-t-on quand l'on est déprimé ?

Soupirer lorsqu'on est triste relève d'un mécanisme spontané de régulation du SNA ! Une respiration lente à 6 cycles par minute et profonde, en mobilisant le ventre et en allongeant l'expiration (6 sec), mobilise le parasympathique vagal pour réguler nos émotions à l'inverse de l'orthosympathique[1]. Ce tonus vagal s'apprécie indirectement par la variabilité de la fréquence cardiaque VFC. En effet, la FC instantanée n'est jamais constante : elle doit s'adapter aux besoins du contexte. Si vous êtes stressé, elle augmente (pour fuir/attaquer). Si vous êtes au repos, elle diminue (pour récupérer, anaboliser). Une grande VFC est signe de bonne santé tant physique que mentale. Ce qu'on entend par cohérence cardiaque est la mise en phase des rythmes du cœur, de la respiration et de la pression artérielle à travers les barorécepteurs situés sur les gros vaisseaux à l'entrée et à la sortie du cœur. Autrement dit, cœur et poumons entrent en résonnance avec l'arythmie sinusale respiratoire : la FC s'accélère à l'inspiration et décélère à l'expiration (Fig. 3). La VFC se travaille aussi à la fréquence de respiration normale c'est-à-dire à haute fréquence d'environ 12 cycles par minute en méditation en pleine conscience. Elle se monitore via l'indice ANI Analgesia Nociception Index en anesthésiologie qui ouvre la voie à l'hypnose sous monitoring du tonus vagal[2].

Ma 5è relecture chinoise de la dépression est que l'organisme est capable de se réguler spontanément, le soupir en est révélateur. Dès lors, il faut soutenir notre SNA vagal, par des techniques du corps qui mobilisent le souffle pour re-pressuriser là où c'est dépressurisé.

 

[1] SERVANT D. et al (2008). La variabilité de la fréquence cardiaque. Intérêts en psychiatrie. L'encéphale. doi:10.1016/j.encep.2008.06.016 *

[2] DEJONCKHEERE J. et al. Physiological signal processing for individualized anti-nociception management during general anesthesia: a review. IMIA Yearbook of Medical Informatics 2015 *

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Fig.3 Une respiration contrôlée, lente et profonde à 6 cycles par minute, produit une variabilité de fréquence cardiaque VFC périodique vs une respiration spontanée qui produit une VFC chaotique.
 

Comment les idéogrammes chinois déplient ce qui est pris dans le pli de la langue : l'impensé d'un soupir ?

Le diagnostic psychiatrique momifie le vivant. Le calligramme montre des nuages qui s'amoncellent 陰 Yin, et le soleil qui apparaît à travers les nuages 陽Yang. Rester en bonne santé passe par une capacité de varier la charge qui fait pression. La dépressivité est ce qui maintient le flux du vivant tel systole-diastole, inspirer-expirer, jour-nuit, yin-yang.

Le fonctionnement des choses, la voie par où ça passe, la viabilité du Tao 道, image d'un pied qui chemine surmonté d'un visage, incite à garder l'esprit ouvert pour trouver de nouvelles voies dans la modélisation de la dépression. L'immobilisation de la nage forcée des souris est aussi à lire comme une stratégie de survie et non comme sa faillite dépressive, tout comme l'écran noir du mode sans échec de Windows.

Des arbres que l'on brûle, redonnant de la place, invite à la disponibilité 無 Wu signifiant vide. L'esprit désencombré des jugements donne accès aux possibles de la pensée, une fois ses préjugés écartés.  

Le sens de l'humain Ren dessine littéralement 仁un homme et le chiffre deux. La nature humaine ne se constitue qu'en lien avec un autre. Il faut être deux, dans une relation sécure, pour remettre du sens à un récit, pour soulager un déplaisir, pour qu'une molécule se transforme en médicament.

Le cœur Xin, siège des sentiments et de l'esprit, est dessiné en chinois sous forme de cœur 心. Corps et esprit travaillent de manière synchrone dans les techniques de cohérence cardiaque respiratoire ou de méditation en pleine conscience. En mettant du vague à l'âme, un réflexe autonome peut accéder à la réflexion au niveau central du système nerveux.

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