Prise en charge des AVC aigus aux urgences Filière AVC-Code Jaune – RHNe
I.-P. Muresan (1), V. Della Santa (2), S. Renaud (1)
1) Service de neurologie, RHNe | 2) Département des urgences, RHNe
Introduction. Le rôle des Unités Cérébro-vasculaires
L’Accident vasculaire cérébral (AVC) est un problème majeur de santé publique dans le monde. Il constitue la troisième cause de mortalité après l’infarctus de myocarde et les cancers et la première cause de handicap chez l’adulte. En Suisse, il touche 16 000 personnes par an. Avec les maladies cardiovasculaires, l’AVC représente la première cause de décès et la troisième cause d’hospitalisation.
La prise en charge des AVC est réglementée avec la création des Unités cérébro-vasculaires (UCV) – Stroke Center (en bleu) et Stroke Units (en rouge), reparties sur le territoire suisse comme décrit dans la Figure 1. Elles ont une certification périodique conférée par la Swiss Federation of Clinical Neuro-Societies (SFCNS) – Swiss Stroke Committee en coopération avec la Société Cérébrovasculaire Suisse (SCS), mandatée par la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS) 1.
Figure 1. Réseau Suisse des Unités cérébro-vasculaires. Site: www.neurovasc.ch/portrait/stroke-center-stroke-units
L’unité cérébro-vasculaire de Neuchâtel a été certifiée en 2013 (il s’agissait de la première certification en Suisse Romande) puis re-certifiée en 2016 et en 2019. Elle fait partie également du réseau européen – European Stroke Organisation (ESO) et était certifié par l’ESO comme première Stroke Unit en Suisse. A partir du 2016, il existe une stratégie nationale contre les maladies cardio-vasculaires, l’attaque cérébrale et le diabète2.
La prise en charge des AVC dans les unités cérébro-vasculaires permet de diminuer d’une manière significative la mortalité, ainsi que le handicap post AVC par rapport aux hôpitaux ne disposant pas de ce type de structures. Une méta-analyse publiée en 19973, ainsi que la cohorte Finnoise des AVC de 2010 confortent ces données4. Récemment, un audit australien mené sur 42 hôpitaux montre une réduction de la mortalité à 3 mois par la moitié, ainsi qu’une meilleure qualité de vie post AVC en cas de prise en charge des AVC dans les Unités cérébro-vasculaires5. Cette prise en charge commence déjà en pré-hospitalier et aux urgences avec la mise en place des filières spécifiques.
AVC ischémique. Thrombolyse intraveineuse et thrombectomie des AVC ischémiques. Données classiques
En ce qui concerne les AVC, la plupart sont représentés par des AVC ischémiques – plus de 90% – et, dans une moindre mesure, par des AVC hémorragiques. Parmi les AVC ischémiques, il existe des AVC cardio-emboliques en relation avec, en premier lieu, la fibrillation auriculaire (FA), des AVC athéromateux avec sténoses carotidiennes ou intracrâniennes, des AVC lacunaires avec micro-angiopathie hypertensive, des AVC d’origine indéterminée (25% des cas). Les causes rares, comme les dissections des artères carotides ou vertébrales, ainsi que le foramen ovale perméable (FOP) important ou l’association FOP – ASIA (anévrisme du septum inter-auriculaire) touchent d’avantages les adultes jeunes (moins des 55 ans).
Compte-tenu de l’existence d’un caillot sanguin qui bloque la circulation sanguine cérébrale dans la grande majorité des cas – par mécanisme embolique, thrombotique, et, dans une moindre mesure, par mécanisme hémodynamique ou de spasme vasculaire – la plupart de traitements aigus sont thrombolytiques ou mécaniques afin de lyser le caillot sanguin et restaurer la circulation cérébrale. Le choix du traitement aigu des AVC ischémiques est conditionné, entre autres, par le temps écoulé depuis les premiers symptômes, par l’existence ou non d’une occlusion d’une grande artère, par l’existence ou non d’un traitement anticoagulant et par les comorbidités récentes (ex : chirurgie récente avec risque de saignement) ou anciennes (ex : patient avec un lourd handicap). A part la thrombolyse IV avec de l’Actilyse® ou la thrombectomie mécanique, seules ou combinées, les autres molécules anti-thrombotiques utilisées dans le traitement des AVC ischémiques dans la phase aiguë sont l’aspirine, le clopidogrel et, dans une moindre mesure, les anticoagulants (héparine non fractionnée (HNF), héparine de bas poids moléculaire (HBPM), anticoagulant oral direct (ACOD) et les anti-vitamine K (AVK)). Le choix, souvent complexe, intègre le temps post premiers symptômes d’AVC, le score de gravité d’AVC sur l’échelle NIHSS, les données d’imagerie cérébrale – IRM avec des séquences spécifiques, l’hémodynamique cérébrale avec l’aide des ultrasons cervico-encéphalique, l’existence d’une cardiopathie emboligène à haute risque etc.
La thrombolyse intraveineuse (TIV) constitue le traitement de référence de l'infarctus cérébral aigu dans la fenêtre thérapeutique de 4.5h, sans occlusion d'une grande artère6. La thrombectomie mécanique (TM) ou la bridging-thérapie (TIV couplée avec la TM) est le traitement validé en cas d'AVC ischémique avec occlusion artérielle d'une artère de gros calibre7. En cas d’occlusion d’une artère de gros calibre, le choix entre un traitement TIV, TM ou bridge est temps-dépendant et imagerie complexe-dépendant. En plus de cela, la proximité géographique d’un Stroke Center ou d’un Stroke Unit rend le processus complexe via 2 modalités thérapeutiques : Mothership, c'est-à-dire un transfert du patient directement vers le Stroke Center avec le traitement combiné sur place ou Drip-and-ship, avec le traitement par l’Actilyse® iv dans un Stroke Unit puis transfert secondaire vers le Stroke Center pour la TM. Les deux approches permettent la guérison et la diminution du handicap d'une manière significative et, dans une moindre mesure, la diminution de la mortalité des patients, par rapport au traitement classique. Le bénéfice de ce traitement a été démontré par de multiples études internationales, randomisées, multicentriques, en double aveugle ainsi que par des registres des patients en Europe, Etats-Unis, Canada et Australie. Pour la thrombolyse IV,8 le temps symptômes traitement (TST) est un facteur important de guérison (NNT=4.5 pour TST< 90 min et NNT=15 pour TST< 4.5h). Pour le bridging, le NNT est de 3 à 8 en ce qui concerne l’indépendance fonctionnelle mRS=0-2 appréciée par l’échelle de handicap post AVC (le score de Rankin modifié- mRS) 9.
AVC ischémiques. Thrombolyse intraveineuse et Thrombectomie mécanique tardives des AVC ischémiques
Classiquement, le traitement des AVC ischémiques était dans une fenêtre courte de temps, à savoir entre 0-4.5 heures après le début des symptômes. L’imagerie initiale permettait d’écarter une hémorragie cérébrale et le patient recevait une thrombolyse IV. Cela pose problème car il existe des patients ayant fait des AVC au réveil avec un délai supérieur de 4.5 heures par rapport à leur dernière preuve de bonne santé, ou des patients qui ne peuvent pas arriver dans un délais court, par exemple un patient seul avec un déficit important l’empêchant à demander de l’aide ou un patient avec négligence cérébrale qui ne peut pas reconnaître son déficit.
Avec l’essor de l’imagerie cérébrale, la sélection de patients avec un AVC aigu permet d’identifier ceux qui peuvent bénéficier d’un traitement individualisé parenchyme-dépendant et non pas classique temps-dépendant. L’étude Wake Up10 parue en 2018 dans le New England Journal of Medicine (NEJM) a permis d’élargir cette fenêtre car elle a sélectionné des patients ayant fait un AVC au réveil ou d’autres qui avaient un temps indéterminé entre l’apparition des symptômes et la prise en charge, avec une imagerie par IRM cérébrale composée de séquences spécifiques dites Diffusion weighted images (DWI) et Fluid Attenuated Inversion Recovery (FLAIR). Pour recevoir le traitement, le patient devait avoir un mismatch entre les deux modalités d’IRM avec absence d’images pathologiques sur le FLAIR. L’étude a prouvé d’une manière significative le bénéfice du traitement par Actilyse® IV par rapport au traitement classique.
Une autre étude récente – Extend IV 11, publiée en 2019 dans le NEJM, a obtenu des résultats similaires avec une sélection de patients par une imagerie multimodale basée sur la viabilité parenchymateuse – différence entre la zone d’ischémie irréversible (core) et la zone d’hypoperfusion (pénombre). Les patients avec un AVC au réveil ou avec un déficit constaté entre 4.5h et 9 h ayant un mismatch entre le core de l’AVC et la pénombre étaient traités par rt-PA IV ou par traitement standard. Le bénéfice du traitement par rapport au traitement standard était aussi significatif avec toutefois un excès d’hémorragies cérébrales.
Concernant le traitement endovasculaire seul – TM, l’étude DAWN12 publié dans le NEJM en 2018 a permis d’élargir la fenêtre thérapeutique des patients ayant un AVC ischémique avec occlusion d’une grosse artère jusqu’à 24 heures post début des symptômes sur la base d’une sélection de patients avec l’imagerie multimodale et l’existence d’un mismatch clinico – radiologique. Le bénéfice du traitement concernant l’indépendance fonctionnelle sur l’échelle mRS 0-2 était significatif (49% en group thrombectomie et de 13 % en group thérapie standard, p ultérieur supérieur > 0.999) sans augmentation significative des hémorragies cérébrales, ni de la mortalité. Dans la même optique, l’étude DEFUSE-313 parue dans le NEJM en 2018 a montré la supériorité du traitement par TM dans la fenêtre thérapeutique de 6-16 heures, chez des patients ayant fait un AVC ischémique avec occlusion d’une grosse artère de la circulation antérieure, sélectionnées avec l’imagerie multimodale – zone de core < 70 ml, l’existence d’un mismatch ratio >1.8. Le bénéfice du traitement concernant l’indépendance fonctionnelle sur l’échelle mRS 0-2 était significatif (45% dans le groupe thrombectomie et 17% dans le groupe thérapie standard, p < 0.001) avec une réduction de la mortalité à 3 mois cliniquement significative (14% dans le groupe TM vs 26% dans le groupe contrôle, p=0.05) sans augmentation significative des hémorragies cérébrales symptomatiques.
Stroke Unit – Unité Cérébrovasculaire à Neuchâtel - RHNe
A Neuchâtel, à partir de fin 2017, après une concertation avec le département des urgences, le SMUR et les services d’ambulance, le département d’imagerie médicale et des discussions avec le service informatique de l’hôpital nous avons changé le déroulement de la prise en charge des AVC aigus. Nous avons instauré un programme de formation avec des simulations auxquelles participe chaque membre du corps médical et soignant en pré-hospitalier et intra hospitalier amené à prendre en charge des patients souffrant d’un AVC. Ainsi, la filière AVC (qui a reçu le code couleur jaune en lien avec la couleur du système nerveux dans les livres d’anatomie) est activée uniquement par le neurologue de garde pour tout déficit focal compatible avec un AVC jusqu’à 24 heures après le début des symptômes selon les informations transmises, pour la majorité de cas, par un médecin SMUR, par un autre médecin hospitalier pour les AVC intra hospitaliers, ou bien par un médecin de ville via un numéro de garde 24h/24, 7j/7. Le neurologue en charge des Urgences Neurologiques sur Neuchâtel 24h/24, 7j/j ou à la Chaux-de-Fonds 08h00-18h00, 5j/7 attend le patient à l’entrée des urgences avec le médecin superviseurs, un médecin assistant des urgences et un infirmier des urgences pour l’accompagner en imagerie médicale. Ainsi, à moins que le patient ne présente une instabilité hémodynamique ou une compromission des voies aériennes, il ne transite pas par le service des urgences mais est acheminé directement en imagerie. Apres l’imagerie, le traitement spécifique est commencé déjà sur la table du scanner ou de l’IRM et le patient est ensuite transféré dans l’UCV ou à Inselspital – Stroke Center, si nécessaire, pour un traitement combiné – bridging ou uniquement thrombectomie mécanique. L’option neuchâteloise drip-and-ship du traitement des AVC ischémique avec une occlusion d’une grosse artère est réaliste car conforté par des études récentes14,15 – ainsi que par la toute récente recommandation suisse16 – voir figure 2. Néanmoins, il existe des contraintes du temps du traitement intra hospitalier – temps admission-temps sortie d’une Stroke Unit inferieur à 60 minutes.
Figure 2. Modalités Mothership versus Drip-and-ship en ce qui concerne le traitement des AVC ischémiques avec occlusion d’une grosse artère.
Reproduite avec la permission du journalKägi G, Schurter D, Niederhäuser J, et al. Swiss guidelines for the prehospital phase in suspected acute stroke. Clinical and Translational Neuroscience. January 2021. Source/URL to the article on the SAGE website (https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2514183X21999230) ainsi que du :
Creative Commons license : License (CC-BY) - link/url to the term (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/)
En 2018, par rapport à 2017, nous avons pratiquement doublé le nombre des interventions – TIV seule ou TIV et TM ou TM seule – voir tableau 1, sans diminuer la gravité initiale des AVC ischémiques selon l’échelle NIHSS. Cela s’explique probablement par l’expérience acquise avec l’implication des acteurs multiples pré-hospitaliers et hospitaliers, ainsi que par l’apparition des publications avec résultats positifs concernant la lyse IV et la thrombectomie tardive.
Tableau 1 : Nombre de thrombolyses IV, thrombectomies mécaniques et le traitement combiné– bridging effectuées à la Stroke Unit Neuchâtel pendant 2017 et 2018 en fonction du NIHSS initial.
Avec la nouvelle procédure, nous avons également diminué le temps intra hospitalier du traitement : temps médian porte-seringue en 2017 : 60 minutes puis en 2018 : 33.50 minutes. En plus, chaque année le nombre de patients hospitalisés à l’UCV suite à un AVC a augmenté (en 2014 – 245 hospitalisés à l’UCV et en 2020 – 466 hospitalisés à l’UCV) –figure 3. Reproduite avec la permission de la PD Dresse Susanne Renaud, Stroke Unit, Neuchâtel.
Figure 3. Patients hospitalisés dans l’UCV à Neuchâtel –RHNE au fil des années.
AVC ischémique aigu – situations particulières
En dehors de la prise en charge par TIV ou TM, pour les AVC ischémiques mineurs non cardio-emboliques – NIHSS ≤ 3 ou les AIT a haut risque de récidive – c’est à dire des AIT avec un score ABCD2 > 4, des études récentes proposent un traitement par une bithérapie initiale – dose de charge Aspirine 250 mg et Clopidogrel 300 mg, puis Aspirine Cardio 100 mg et Clopidogrel 75 mg par jour pendant 3 semaines, puis aspirine cardio 100 mg/j au long cours afin de diminuer le risque de récidive17. En ce qui concerne la prise en charge des AVC ischémiques cardio emboliques liés à la FA, à part le traitement par TIV ou TM, nous proposons à nos patients dans la phase aiguë de participer au protocole international ELAN18 coordonné par le Professeur Urs Fischer de l’hôpital de l’Ile à Berne afin d’identifier la meilleure stratégie thérapeutique. Les recommandations actuelles proposent une approche prudente avec l’introduction d’un ACOD en fonction du score NIHSS, de la taille de l’AVC ischémique sur IRM, de l’existence d’une transformation hémorragique, de la fonction rénale, l’âge du patient, les comorbidités. Pour les dissections extra-crâniennes responsables des AVC ischémiques ou des AIT, le traitement de choix dans la phase aigüe est probablement représenté par l’anticoagulation initiale pour une période de quelques mois et par la suite, en fonction de l’état vasculaire, par l’aspirine cardio 100 mg/j19. En ce qui concerne les AVC cardio-emboliques en relation avec un FOP large ou une association FOP/ASIA, le traitement efficace est la fermeture du FOP. Néanmoins, le NNT pour éviter un AVC par an est de 131, ce qui exige une sélection adéquate. La fermeture devrait ainsi être proposée aux patients bien ciblés et réalisée dans des centres avec une grande expérience20.
Conclusion
Chaque année il existe des progrès scientifiques remarquables dans le domaine de l’AVC. Le processus de certification nous permet d’améliorer d’une manière continue la mise en place des nouveautés ainsi que de nos procédures. Nous sommes confiants et nous voulons améliorer la qualité de la prise en charge des nos patients dans le canton de Neuchâtel afin d’arriver à prendre en charge chaque AVC dans la phase aiguë.
La coordination des différents acteurs pré- et intra-hospitaliers et en aval du Réseau hospitalier neuchâtelois ont un impact majeur sur le destin des patients pris en charge sur notre territoire cantonal. Les patients ayant des symptômes compatibles avec un AVC < 24h, y compris les AIT, méritent une prise en charge rapide et coordonnée qui est mise en place de manière idéale lorsque le 144 est appelé et une ambulance mandatée avec le SMUR pour orienter au mieux le patient dans notre filière AVC – CODE JAUNE (par exemple connaissance des dates de révision d’un CT sur un site ou l’autre avec acheminement du patient directement sur le bon site RHNe de prise en charge).
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