Polymyalgia rheumatica et artérite gigantocellulaire
Margarita Candil, rhumatologue, Neuchâtel | Ludovic Tapparel, rhumatologue, RhNe La Chaux-de-Fonds
Fréquemment rencontrée dans la pratique quotidienne, la polymyalgia rheumatica (PMR) reste un mystère sur le plan pathophysiologique. La barrière entre la PMR et l’artérite gigantocellulaire (maladie de Horton) est également floue. Les moyens diagnostiques ont quelque peu évolué et de nouvelles perspectives thérapeutiques ont vu le jour ces dernières années.
Syndrome polymyalgique
La présentation clinique comprend typiquement des douleurs des ceintures scapulaires et pelvienne symétriques et inflammatoires, avec des réveils nocturnes en seconde partie de nuit et une raideur matinale significative (> 15 minutes). A ce stade, on parle alors de syndrome polymyalgique, ouvrant la liste de diagnostics différentiels comprenant la polymyalgia rheumatica, la polyarthrite rhumatoïde à début rhizomélique, plus fréquente chez la personne âgée, les arthropathies microcristallines à cristaux de pyrophosphate de calcium (CPPD - chondrocalcinose), les myopathies inflammatoires, les effets secondaires médicamenteux (p.ex. statines) ainsi que les phénomènes paranéoplasiques.
Au stade initial et dans les premières semaines, il est primordial de rechercher des symptômes et signes d’artérite gigantocellulaire (AGC), à savoir des céphalées temporales, une hyperesthésie du cuir chevelu (signe du peigne), une claudication de la mâchoire, des symptômes visuels (vision floue, diplopie ou amaurose fugace) ainsi que des signes évoquant une ischémie des membres supérieurs. Les pouls temporaux doivent être bien palpées avec des artères temporales non indurées, la tension artérielle aux deux membres supérieurs est mesurée à la recherche d’une asymétrie. L’absence de syndrome polymyalgique rend le diagnostic et la prise en charge de l’AGC parfois plus difficiles. La complication la plus redoutée reste la survenue d’une cécité (19%), malheureusement irréversible.
Les outils diagnostiques
Le bilan biologique comprend la recherche de signes inflammatoires (anémie, thrombocytose, élévation de la VS et de la CRP), que l’on complète volontiers avec les facteurs rhumatoïdes et anti-CCP, le dosage des CK et un bilan phosphocalcique, outre la fonction rénale et les paramètres hépatiques de base.
De la chondrocalcinose peut être recherchée sur des radiographies standard des mains (ligaments triangulaires du carpe), du bassin (symphyse pubienne) ainsi que des genoux (articulations fémoro-tibiales). D’intenses céphalées occipitales doivent faire penser à une « dent couronnée », bien visible au CT-scanner, toutefois, en cas de fort syndrome inflammatoire ou de symptômes B tels que fièvre, frissons ou sudations, une origine infectieuse et une vasculite doivent être impérativement écartées. Le recours à une hospitalisation afin d’accéder à ces différents examens ou au PET-CT rapidement peut s’avérer utile. A noter que le PET-CT est remboursé en ambulatoire en cas de suspicion diagnostique de vascularite ainsi que pour le contrôle thérapeutique depuis février 2020 (Modification de l’OPAS du 07.02.2020).
En cas d’arthrite, bursite ou épanchement articulaire, une ponction peut orienter le diagnostic, notamment confirmer un liquide inflammatoire et parfois mettre en évidence des cristaux de pyrophosphate de calcium.
Le rôle de l’échographie gagne du terrain. En effet, on retrouve des bursites sous-acromiale deltoïdiennes uni- a bilatérales dans près de 96% de patients atteints de PMR. Au niveau de la ceinture pelvienne, il s’agit typiquement de bursites per-trochantériennes (petit et moyen fessier).
En cas de symptômes évocateurs de vasculite, la biopsie temporale reste encore le Gold Standard dans la littérature, avec une sensibilité de 60% à 85%. Elle peut rester positive pendant 1 à 2 mois après l’introduction de la corticothérapie. Toutefois, elle tend à être remplacée par une évaluation angiologique par échographie, non invasive, plus rapidement et facilement accessible. L’idée d’une filière de prise en charge rapide - « fast track » - comme on la retrouve en cardiologie ou neurologie, fait son chemin. Elle consiste en une échographie des artères temporales, carotides et axilaires dans les 24 heures suivant la suspicion clinique. Le signe du « halo » est pathognomonique et confirme le diagnostic. D’après une étude Norvégienne, elle permet de réduire le temps jusqu’au diagnostic et donc la survenue de cécité (p = 0.01), d’éviter une biopsie temporale si l’US est positif, ainsi que de diminuer le temps d’hospitalisation (et donc les coûts de la santé).
En cas de trouble visuel et d’US négatif, on recommande la réalisation d’un bilan ophtalmologique à la recherche de signes d’œdème papillaire de la rétine.
Lors d’AGC, il faut compléter par un angio-CT thoracique (ou IRM, voire PET-CT) afin de bilanter une atteinte des gros vaisseaux.
Le traitement cortisonique
Les glucocorticoïdes restent le fer de lance de la thérapie. Il n’y a pas de bénéfice à prescrire des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ni d’autres antalgiques, sauf en cas de comorbidité avérée (p.ex. arthrose). Les sociétés de rhumatologie européenne et américaine (Eular et ACR) recommandent un dosage de prednisone (ou équivalent) entre 12.5 et 25 mg/jour, en dosage unique. Le schéma dégressif vise la dose de 10 mg/jour à 4-8 semaines. À partir de 10 mg/jour, on peut considérer des paliers dégressifs de 1 mg par mois.En cas de récidive, le dosage précédent est repris pendant un mois, avant de revenir au dosage ayant mené à la recrudescence des symptômes.
Une PMR est dite atypique si elle nécessite plus de 30 mg/jour de prednisone, ou si le sevrage cortisonique est difficile. Il faut alors remettre en question le diagnostic de polymyalgia rheumatica (cf diagnostic différentiel ci-dessus). Les facteurs de risque de rechute sont le sexe féminin, un sevrage cortisonique initiale rapide et la persistance d’un syndrome inflammatoire élevé.
Dans le cadre de l’AGS, un bolus de corticostéroïdes I.V., à savoir la méthylprednisolone 1 g/jour pendant 3 jours de suite est recommandé, suivi de corticostéroïdes per os 40-60 mg/jour, avec une réduction de 10% toutes les 2 à 4 semaines jusqu’à 7.5-10 mg/jour, puis par paliers de 1 g par mois.
La prise d’un traitement antiplaquettaire (aspirine 75 à 100 mg/jour), semble diminuer l’incidence des événements ischémiques.
Les alternatives à la corticothérapie
En cas de polymyalgia atypique, de facteurs de risque de récidive, d’artérite gigantocellulaire ou en présence de contre-indication à une corticothérapie prolongée, on peut considérer un traitement cortico-épargnant. Le premier choix reste le méthotrexate à 10-20 mg par semaine. Les formes sous-cutanées présentent une meilleure biodisponibilité que les formes orales. L’adjonction d’acide folique 5-10 mg par semaine diminue l’incidence des effets indésirables des muqueuses orales et digestives. Les « recommandations de traitement » de la Société Suisse de Rhumatologie résument les bilans à effectuer avant et pendant le traitement.
Le léflunomide 10-20 mg/j représente une alternative en cas de contre-indication au méthotrexate.
Les anti-TNF-alpha n’ont pas leur place dans la PMR ni l’artérite gigantocellulaire. Par contre, les anti-IL6, notamment le tocilizumab, ont été démontrés efficaces dans l’induction et le maintien de la rémission clinique dans l’artérite gigantocellulaire et l’artérite de Takayasu. Bien que validé par Swissmedic, ce dernier n’est pas encore inscrit dans la liste des spécialités.
Prévention de l’ostéoporose cortisonique
Le risque fracturaire est accru à partir de 2.5 mg/jour de prednisone pour une durée de plus de trois mois. Il est recommandé de débuter un traitement préventif de biphosphates associé à des suppléments vitaminocalciques. En Suisse, seul l’alendronate 70 mg hebdomadaire est remboursé en l’absence d’une « ostéoporose documentée », d’où l’utilité d’effectuer une ostéodensitométrie en début de traitement. En effet, la présence d’ostéoporose avérée ouvre un panel thérapeutique plus large. Les apports calciques quotidiens recommandés sont de 1 g/jour, à compléter au besoin par les suppléments plus ou moins couplés à de la vitamine D, avec un dosage quotidien minimum recommandé à 800 unités/jour. En cas d’hypovitaminose D, des doses initiales à 2000 unités/jour peuvent être prescrites jusqu’à correction du déficit.
A retenir
- 5-25 mg/j de prednisone sont suffisants pour le traitement de la polymyalgia rheumatica
- Rechercher les diagnostics alternatifs d’un syndrome polymyalgique, si réponse insuffisante ou échec de sevrage à la corticothérapie
- En cas de suspicion d’artérite giganto-cellulaire, l’échographie des artères temporales et pré-cérébrales effectuée dans les 24h raccourcit le temps au diagnostic et diminue le risque de cécité
Références
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