L’apport de la neuropsychologie dans le cadre du Centre Mémoire
Delphine Frochaux | Spécialiste en neuropsychologie FSP, coordinatrice du Centre Mémoire
Le bilan neuropsychologie constitue une partie essentielle du dépistage et du diagnostic des maladies neurodégénératives. Cet examen a pour objectif de définir avec précision quelles sont les fonctions cognitives atteintes, mais également quelles sont celles qui sont préservées. L’interprétation de ce bilan permettra d’établir le profil d’atteinte cérébrale (par exemple sous-cortico-frontal ou temporal interne) et d’évoquer un premier diagnostic sur la base de la présentation clinique. Les neuropsychologues utilisent des tests psychométriques qui ont été normés sur une large population, permettant ainsi de comparer le patient à un groupe de personne sans pathologie cérébrale, apparié selon certaines caractéristiques pouvant avoir une influence sur les performances cognitives (âge, niveau de formation, sexe notamment). Lors d’un premier bilan au Centre Mémoire, l’ensemble des fonctions cognitives sont évaluées : langage, praxies gestuelles et constructives, gnosies visuelles, mémoire à court terme et à long terme, fonctions exécutives et attentionnelles, cognition sociale. Une anamnèse détaillée est effectuée avec le patient, et différents questionnaires peuvent être utilisés pour spécifier les plaintes ou pour dépister d’éventuels troubles thymiques ou anxieux. Une hétéroanamnèse est également pratiquée avec un proche (idéalement en cabinet lorsque le patient vient accompagné ou par téléphone si ça n’est pas le cas et que le patient donne son accord). Les éléments recueillis durant l’anamnèse ou dans le dossier médical permettent de guider le choix des tests en fonction de l’étiologie suspectée (par exemple, exploration plus détaillée de la cognition sociale en cas d’éléments évocateurs d’une dégénérescence fronto-temporale), mais également en fonction du niveau de formation du patient (certains tests sont spécialement conçus pour les personnes peu scolarisés ou illettrés), de la maîtrise du français et de l’état physique et émotionnel dans lequel se trouve le patient au moment de l’examen. L’interprétation des résultats aux tests psychométriques va également être différente en fonction de ces facteurs. Ainsi, chez deux patients ayant des performances similaires aux tests psychométriques, il est tout à fait possible qu’une maladie d’Alzheimer soit suspectée chez l’un alors que, chez l’autre, les résultats soient mis en lien avec des facteurs thymiques ou socio-culturels. Ainsi, une analyse complète et intégrative de la situation du patient (intégrant les résultats aux tests mais également l’histoire de vie, la chronologie des troubles, les facteurs socio-culturels et émotionnels, l’anamnèse médicale, les événements de vie récents…) est nécessaire avant de dégager des pistes diagnostiques.
Quand faut-il demander un examen neuropsychologique ?
Dans le cadre des maladies neurodégénératives, le patient est souvent peu nosognosique de ses difficultés cognitives, et ne s’en plaindra pas forcément lors de sa consultation chez son médecin généraliste. Dans ce contexte, un test de dépistage est conseillé en cas de suspicion de difficultés cognitives ou de changement des habitudes de vie d’un patient (par exemple, chez une personne ponctuelle qui commence à oublier des rendez-vous ou si quelqu’un d’habituellement très soigné commence à négliger son hygiène vestimentaire). Parfois, ce sont les proches qui prennent contact avec le médecin traitant pour signaler des changements subtils. Les screenings cognitifs sont par ailleurs de plus en plus utilisés par les médecins généralistes lors du contrôle pour le permis de conduire, obligatoire tous les deux ans dès l’âge de 75 ans. Actuellement, le test de dépistage le plus utilisé est le MoCA (Montréal Cognitive Assessment), permettant une évaluation rapide des fonctions cognitives les plus importantes (notamment langage, mémoire, attention, fonctions exécutives). Cet outil a supplanté le Mini Mental State Test (MMSe), utilisé auparavant, mais qui n’est pas suffisamment sensible aux atteintes exécutives. La valeur cut-off la plus utilisée pour le MoCA est 26/30. Un score égal ou supérieur à cette valeur peut en principe être interprété comme rassurant. Cependant, comme cité précédemment, il faut veiller à tenir compte des facteurs pouvant influencer les performances à ce test. En effet, un score de 26/30 peut s’avérer pathologique pour un professeur d’université encore actif, alors qu’un score inférieur pourrait être normal pour une personne ne maîtrisant pas bien le français ou n’ayant pas été beaucoup scolarisé. A cet effet, il existe une version plus simple, appelée MoCA-B, adaptée aux personnes illettrées ou très peu scolarisée, qu’il serait plus pertinent d’utiliser chez certains patients. Certains patients anxieux peuvent également perdre leurs moyens durant la passation du test et avoir un score nettement inférieur à leurs capacités cognitives réelles. Comme cité précédemment, les médecins généralistes doivent utiliser ces outils avec prudence, et tenir compte de l’ensemble des facteurs qui peuvent influencer les performances du patient. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à adresser le patient pour un examen neuropsychologique qui permettra de faire une analyse complète et détaillée de la situation. Une formation en ligne d’une heure pour la passation est disponible sous le site : www.mocatest.org ainsi que les différents protocoles.
Au-delà de l’examen diagnostique, les neuropsychologues ont également un rôle dans le suivi des patients avec atteintes neurodégénératives. Même s’il n’est actuellement pas possible de proposer une restauration de la mémoire à proprement parler, certaines méthodes et stratégies permettent de limiter l’impact des troubles mnésiques au quotidien. Ainsi, les neuropsychologues vont s’appuyer sur les fonctions cognitives préservées pour proposer une intervention ciblée au patient. Pour les personnes avec des atteintes sévères, des techniques d’apprentissage sans erreur peuvent être proposées pour maintenir certaines informations importantes comme les noms des personnes de l’entourage. Pour les patients avec des atteintes plus légères, il est possible de leur apprendre des stratégies comme l’imagerie mentale (associer l’information verbale à mémoriser à une image mentale) afin de mieux mémoriser les informations. Ces techniques ont montré leurs preuves (voir notamment Bahar-Fuchs et al., 2019 pour une revue) et peuvent être utilisées indépendamment du fait qu’il s’agisse de maladies neurodégénératives. Au sein du Centre Mémoire, nous pouvons également faire recours à des logopédistes pour une évaluation plus détaillée des aspects phasiques et pour une prise en charge si besoin, notamment pour les aphasies primaires progressives (voir Cadório et al., 2017 pour une revue). La psychoéducation est également un élément important pour le patient et pour ses proches, afin d’expliquer quels sont les processus cognitifs touchés et quels sont ceux qui restent préservés, tout en faisant le lien avec l’atteinte cérébrale et la maladie sous-jacente. Ces éléments sont essentiels car les maladies neurodégénératives sont extrêmement variées et peuvent affecter les personnes de manière très différente, même lorsque le processus pathologique est similaire. Ainsi, malgré les avancées faites dans le domaine des biomarqueurs, une analyse détaillée du profil cognitif reste essentielle afin de mieux cerner l’impact de la maladie sur le fonctionnement cérébral de la personne et pouvoir fournir un suivi personnalisé.
Bibliographie
Bahar‐Fuchs, A., Martyr, A., Goh, A. M., Sabates, J., & Clare, L. (2019). Cognitive training for people with mild to moderate dementia. Cochrane Database of Systematic Reviews, (3).
Cadório, I., Lousada, M., Martins, P., & Figueiredo, D. (2017). Generalization and maintenance of treatment gains in primary progressive aphasia (PPA): a systematic review. International journal of language & communication disorders, 52(5), 543-560.