Impacts psychologiques de la pandémie COVID-19 sur le personnel soignant
Stéphane Saillant | médecin-chef, département de psychiatrie générale et liaison, CNP.
La pandémie COVID-19 a été un événement majeur stressant tant pour les systèmes hospitaliers que pour l’ensemble des cliniciens[1]. Sans surprise et confirmant une impression empirique que beaucoup de cliniciens de toutes spécialités confondues ont rapidement évoqué dès le début de la pandémie[2], l’impact psychologique global du COVID-19 dans la population générale est sans équivoque notamment pour les jeunes et les femmes[3][4][5], avec une nette augmentation des demandes d’aide psychologique, tant pour la population adolescente qu’adulte.
La santé mentale liée à la pandémie a surgi dans l’espace public en suscitant progressivement une prise de conscience de la souffrance spécifique que pouvaient ressentir les soignants, comme en témoignaient lors de la première vague les applaudissements de la population, tel un message de soutien. Cette thématique a été évoquée dans les médias notamment lors de la deuxième vague, lorsque la fatigue et l’épuisement se faisaient alors grandement sentir dans les équipes de soins[6]. En témoin de cet état de faits, le réseau de soutien psychologique aux médecins ReMed a enregistré 11% de hausse de nouvelles demandes en 2021[7], la plupart du temps en raison de stress au travail et d’épuisement professionnel.
Différentes phases ont marqué la pandémie et l’esprit des soignants. Bien que tentant de nous intéresser au vécu psychologique collectif de ce corps professionnel, les soignants ont traversé cette pandémie avec des vécus émotionnels évidemment individuels et dépendants d’un bon nombre de facteurs. Cependant, il se dégage certains dénominateurs communs intéressants à explorer et qui ont été très souvent rapportés par des soignants autour d’un café ou lors de rencontres informelles dans les couloirs de l’hôpital.
Evolution chronologique du vécu des soignants
Les soignants ont traversé différentes phases de la pandémie dont les répercussions peuvent avoir des résonances et des effets différents. Je tente ici de décrire la perception que j’ai pu avoir de l’activité de mes collègues œuvrant au sein des spécialités somatiques.
La première phase fut marquée par la découverte du nouveau virus SARS-CoV-2 en décembre 2019, sans que le quotidien du personnel médical en soit impacté, les soignants adoptant alors une attitude surprise et interrogative sur ce qui était en train de se passer en Chine. L’arrivée du virus en Europe, et notamment en Italie, dès le mois de février 2020, a provoqué un net « rapprochement » de la menace avec des inquiétudes palpables parmi les soignants dont notamment un sentiment de perplexité, voire d’irréalité.
Une phase psychologiquement anxiogène de préparation à l’arrivée du virus s’en est suivie, avec de multiples séances d’état-major et/ou de cellules de crise en tout genre. Cette préparation fut d’autant plus difficile que l’arrêt progressif de toute vie institutionnelle normale (formations, colloques, activités habituelles d’équipes) a été une étape totalement inédite pour les soignants et profondément bouleversante. Une fois « préparées », les équipes se trouvaient alors en attente comme sur un quai de gare, dépourvues d’activités (les lits étaient alors quasiment vides dans les unités de soins). La phase d’attente a souvent été vécue avec un sentiment d’irréalité, amplifié par la situation de semi-confinement et donc de « vide » dans l’espace public, alors que les hôpitaux étaient eux dans une frénésie certaine. L’attente a également alimenté d’importantes craintes sur les effets potentiellement dangereux du virus ainsi que la mortalité qui lui était liée. L’émergence d’un nouveau virus et la méconnaissance de son mécanisme pathogène ont indubitablement provoqué une anxiété majeure. Simultanément sont apparus des rumeurs de toute sorte sur le taux d’occupation des lits, l’âge des patients hospitalisés aux soins intensifs ou encore sur le nombre de patients affluents aux urgences des différents hôpitaux.
La première vague et ensuite la seconde ont confronté frontalement les soignants à la surcharge de travail permanente, notamment en lien avec la cinétique de la maladie, et la surmortalité dont aucun soignant n’était alors mentalement préparé. Beaucoup de soignants ont très mal vécu les unités « COVID » au sein desquels ils travaillaient, devant faire face chaque jour à plusieurs décès avec un fort sentiment d’impuissance, renforcé par un sentiment d’incompréhension de la part de la population, notamment pendant la deuxième vague.
L’installation durable de la pandémie au début de l’année 2021 a également marqué les esprits des soignants, cette période se transformant alors en marathon plutôt qu’en course de vitesse.
Dès l’apparition du vaccin, de la diminution très progressive du nombre d’hospitalisation et de la levée des différentes mesures sanitaires, les soignants sont entrés dans une phase de fatigue importante et de découragement. L’impact psychologique subjectif de beaucoup de soignants se fait sentir notamment depuis cette période, avec un nombre majeur d’absences dans les services, tout corps professionnel confondu, voire parfois des abandons de carrière et réorientations professionnelles.
Que nous dit la littérature scientifique ?
De manière générale, l’isolement social, la solitude, le sexe féminin et des conditions socio-économiques précaires sont liés à des impacts psychologiques importants dans le contexte de la pandémie de COVID-19[8]. D’importantes études avaient déjà montré l’impact psychologique majeure d’épidémies et pandémies antérieures (dont notamment le SARS), avec un impact particulier sur la santé psychique des soignants[9]. Cela était particulièrement important lorsque les soignants étaient en quarantaine, atteints eux-mêmes du virus, travaillaient dans des unités COVID ou avaient des proches infectés[10].
Une première méta-analyse sur ce sujet met en évidence la présence accrue de troubles de l’humeur ainsi que de troubles du sommeil durant le confinement et la première vague du COVID-19[11]. Une autre large méta-analyse[12] a inclus de nombreuses recherches dans 17 pays différents en concluant à une augmentation du risque de souffrir de problématiques psychologiques, notamment l’anxiété (26% des soignants) et le trouble dépressif majeur (25% des soignants). Malgré quelques résultats discordants, il n’y a actuellement pas d’étude qui mette clairement en évidence de problématiques psychologiques plus importante chez les soignants que dans la population générale[13]. Il semble cependant que certains facteurs de risque des soignants d’être plus impactés psychologiquement ont été mis en évidence : sexe féminin, précarité socio-économique, risque majeur d’être contaminé par le virus en raison du lieu de travail, le contact direct avec les patients, un isolement social ainsi que l’accès fréquent à des médias traitant du sujet. Plusieurs études montrent que la profession infirmière a été plus impactée sur le plan psychologique que le corps médical[14]. Certains facteurs protecteurs ont été mis en exergue, tels que l’importance des ressources de soignants sur le plan local, le soutien familial ou de proches, les mesures de protection (masques, désinfection des mains) ainsi que des informations cliniques régulièrement mises à jour. On perçoit bien ici l’importance de l’activité et du soutien de la médecine du travail et des fonctions de support nécessaires pendant une pandémie. Ces aspects paraissent bénéfiques pour la santé psychique des soignants[15].
Quels risques pour le personnel du futur ?
A l’instar d’un individu ayant souffert d’une maladie grave et devant prendre un temps de rétablissement conséquent, les soignants suivent indubitablement ce même chemin. L’impact psychologique de la pandémie sur la nouvelle génération de soignants est inconnu, tout comme il est impossible actuellement de mesurer l’effet à long-terme de la pandémie COVID-19 sur les systèmes de santé. Compte tenu du constat actuel, marqué par une morosité et un découragement général dans le domaine de la santé, il est d’autant plus important que les responsables politiques mettent en place des stratégies pour anticiper des problématiques structurelles dans les années à venir. Enfin, une attention toute particulière pourrait être déployée tant par les services de médecine du travail que par les équipes de psychiatrie de liaison afin de soutenir les soignants dans les effets d’un probable « épuisement professionnel long », en référence à l’atteinte somatique à long-terme du COVID-19.
[1] Généraliste, psychiatre, chirurgien : leur bilan de la pandémie, Bulletin des médecins suisses, 2022 ; 103(17) : 565-568.
[2] COVID-19: quid d’une vague d’effets psychologiques ?, SNM News, bulletin officielle de la Société neuchâteloise de médecine, n°101/été 2020.
[3] Luo M, Guo L, Yu M, Jiang W, Wang H. The psychological and mental impact of coronavirus disease 2019 (COVID-19) on medical staff and general public - A systematic review and meta-analysis. Psychiatry Res. 2020 Sep;291:113190. doi: 10.1016/j.psychres.2020.113190. Epub 2020 Jun 7. PMID: 32563745; PMCID: PMC7276119.
[4] Hossain MM, Tasnim S, Sultana A, Faizah F, Mazumder H, Zou L, McKyer ELJ, Ahmed HU, Ma P. Epidemiology of mental health problems in COVID-19: a review. F1000Res. 2020 Jun 23;9:636. doi: 10.12688/f1000research.24457.1. PMID: 33093946; PMCID: PMC7549174.
[5] Meherali S, Punjani N, Louie-Poon S, Abdul Rahim K, Das JK, Salam RA, Lassi ZS. Mental Health of Children and Adolescents Amidst COVID-19 and Past Pandemics: A Rapid Systematic Review. Int J Environ Res Public Health. 2021 Mar 26;18(7):3432. doi: 10.3390/ijerph18073432. PMID: 33810225; PMCID: PMC8038056.
[6] Gestion du COVID-19 vécue par un service de la santé au travail, Bulletin des médecins suisse, 2022 ;103 (17) : 569-572.
[7] ReMed : rapport annuel 2021, Bulletin des médecins suisses, 2022 ;103 (12): 374-376.
[8] Holmes, EA, O’Connor, RC, Perry, VH, Tracey, I, Wessely, S, Arseneault, L, et al., 2020. Multidisciplinary research priorities for the COVID-19 pandemic: a call for action for mental health science. Lancet Psychiatry 7 (6), 547–560. https://doi.org/10.1016/ S2215-0366(20)30168-1. Xiong J, Lipsitz O, Nasri F, Lui LMW, Gill H, Phan L, Chen-Li D, Iacobucci M, Ho R, Majeed A, McIntyre RS. Impact of COVID-19 pandemic on mental health in the general population: A systematic review. J Affect Disord. 2020 Dec 1;277:55-64. doi: 10.1016/j.jad.2020.08.001. Epub 2020 Aug 8. PMID: 32799105; PMCID: PMC7413844.
[9] Maunder R, Hunter J, Vincent L, Bennett J, Peladeau N, Leszcz M, Sadavoy J, Verhaeghe LM, Steinberg R, Mazzulli T. The immediate psychological and occupational impact of the 2003 SARS outbreak in a teaching hospital. CMAJ. 2003 May 13;168(10):1245-51. PMID: 12743065; PMCID: PMC154178.
[10] Xiang, YT, Yang, Y, Li, W, Zhang, L, Zhang, Q, Cheung, T, et al., 2020. Timely mental health care for the 2019 novel coronavirus outbreak is urgently needed. Lancet Psychiatry 7 (3), 228–229. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(20)30046-8.
Wu, P, Fang, Y, Guan, Z, Fan, B, Kong, J, Yao, Z, et al., 2009. The psychological impact of the SARS epidemic on hospital employees in China: exposure, risk perception, and altruistic acceptance of risk. Can. J. Psychiat. 54 (5), 302–311. https://doi.org/10. 1177/070674370905400504.
[11] Pappa, S, Ntella, V, Giannakas, T, Giannakoulis, VG, Papoutsi, E, Katsaounou, P, 2020. Prevalence of depression, anxiety, and insomnia among healthcare workers during the COVID-19 pandemic: a systematic review and meta-analysis. Brain Behavi. Immun(20). https://doi.org/10.1016/j.bbi.2020.05.026. S0889-1591(20)30845-X.
[12] Luo M, Guo L, Yu M, Jiang W, Wang H. The psychological and mental impact of coronavirus disease 2019 (COVID-19) on medical staff and general public - A systematic review and meta-analysis. Psychiatry Res. 2020 Sep;291:113190. doi: 10.1016/j.psychres.2020.113190. Epub 2020 Jun 7. PMID: 32563745; PMCID: PMC7276119.
[13] Ni, MY, Yang, L, Leung, CMC, Li, N, Yao, XI, Wang, Y, et al., 2020. Mental health, risk factors, and social media use during the COVID-19 epidemic and cordon sanitaire among the community and health professionals in Wuhan, China: Cross-sectional survey. JMIR Ment Health 7 (5), e19009. https://doi.org/10.2196/19009.
[14] Qiu, J, Shen, B, Zhao, M, Wang, Z, Xie, B, Xu, Y, 2020. A nationwide survey of psychological distress among Chinese people in the COVID-19 epidemic: implications and policy recommendations. Gen. Psychiatr. 33 (2), e100213. https://doi.org/10.1136/ gpsych-2020-100213.
Chou, L-P, Li, C-Y, Hu, SC, 2014. Job stress and burnout in hospital employees: comparisons of different medical professions in a regional hospital in Taiwan. BMJ Open 4 (2), e004185.
[15] Gestion du COVID-19 vécue par un service de la santé au travail, Bulletin des médecins suisse, 2022 ;103 (17) : 569-572.