Bilan carbone et présentation du The Shift Project : Décarboner la Santé pour soigner durablement
Dre Céline Spahr | Médecin assistante RHNE
Le dérèglement climatique, ou plutôt l’urgence climatique, ne fait plus aucun doute, avec des impacts reconnus et déjà notables aujourd’hui, y compris sous nos latitudes tels que vagues de chaleurs (49°C mesuré à Vancouver en juin 2021), orages plus violents, feux de forêts et autres perturbations environnementales. Le secteur de la santé a une responsabilité à la fois dans la prise de conscience de ces perturbations et de leurs impacts sur la santé humaine, et dans la prévention et le choix de transition de ses pratiques/modes de fonctionnement. Par ailleurs le système de santé pèse de façon significative dans le poids total de l’empreinte écologique (ou environnementale). Cette dernière est définie comme la mesure de l’impact de nos consommations des ressources globales naturelles, basée sur les limites planétaires (plus l’empreinte est élevée, plus les ressources sont compromises et limitées). Cet article traite plus spécifiquement de l'empreinte carbone, qui est définie comme la composante la plus importante de l’empreinte écologique (1) , représentant environ la moitié de son coût total (54%).
Il est estimé que le système de santé est responsable de >5% des gaz à émission de serre (GES) au niveau mondial, il manque toutefois des données. La France a récemment lancé un projet d’estimation du bilan carbone du secteur de la santé, avec élaboration d’un plan d’action visant une transition énergétique. Nous allons dans ce texte présenter ce projet, en commençant par les arguments encourageant à la réalisation d’un bilan carbone, suivis de propositions d’actions pour une transition énergétique dans le secteur de la santé.
The Shift Project :
The Shift Project est une association française fondée en 2010, qui se divise en plusieurs groupes de travail (>40 projets initiés jusqu’ici) s’attelant à différents domaines économiques, et tente d’apporter un plan d’action spécifique afin de tendre vers une transition énergétique au niveau national, et ainsi diminuer l’empreinte carbone totale du pays. Le but est de réduire les GES à -5% par année afin de créer une économie compatible avec le respect de la limite établie des +2 °C. The Shift project s’intéresse à l’empreinte carbone exclusivement et axe ses projets en fonction, car c’est une bonne approche de l’économie et du reflet du développement. Modifier (diminuer !) cette empreinte aura également comme effet indirect d’améliorer globalement les autres secteurs tels que la pollutions des eaux, des sols, de l’air.
Rapport provisoire :
Résultats
Selon ce premier rapport provisoire, le système de santé en France est responsable de 33.6 mio de tonnes CO2 eq., soit 5.1 % de l’empreinte carbone totale du pays. Les 80% de ce chiffre proviennent de sources indirectes et que l’on retrouve dans d’autres secteurs, tel que le chauffage, la cuisson, la consommation d’électricité. Les pourcentages restant concernent principalement les transports (personnel, patients, visiteurs) pour environ 25% du coût restant ;, et de façon notable l’approvisionnement et la consommation des médicaments, responsable de >46%.
Figure 1 : tirée du Calcul The Shift Project -Répartition des émissions du secteur de la santé (MtCO2e)
Mesures proposées
Concernant la consommation d’énergie et les émissions dites « hors » énergie » (estimée a 5.5MtCo2e), le plan propose des mesures déjà bien connues dans d’autres secteurs telles que remplacer le système de chauffage (gaz-fioul) et la production d’eau chaude par un système moins carboné, recruter et de former un référent en énergie au sein de l’institution, ou encore favoriser la bio-climatisation des bâtiments.
A propos des achats (19,45 Mégatonne équivalent CO2 (MtCo2e)), les mesures spécifiques se résument à réduire l’impact carbone liée à l’alimentation collective et au gaspillage alimentaire, mettre en place une politique d’achats responsables et durables pour les produits de santé, interdire l’usage des gaz anesthésiants à fort effet de serre et limiter la surconsommation de matériel à usage unique.
Le domaine des déchets est superposable aux autres secteurs et n’a pas directement été estimé en MtCO2e, toutefois les mesures spécifiques s’y appliquent de la même manière : il s’agit de soutenir le développement de la production au niveau national ainsi que l’usage de matériel médical réutilisable, de développer des filières de recyclage des objets jetables, de réduire la proportion de déchets d’activités de soins a risque infectieux et de composter ses bio-déchets. Rappelons-nous que le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas !
Les mesures décrites comme transverses s’intéressent à la pratique médico-soignante au sens large. Sans surprise, il est nécessaire premièrement de développer la recherche sur la décarbonation et sur l’anticipation des changements climatiques dans le secteur de la santé et d’imposer un volet « coût carbone » dans les projets de recherche, projets hospitaliers et dans les réformes de santé. Ensuite, il est proposé de mettre en place des filières de fabrication des médicaments essentiels en Europe, de développer l’enseigne et la culture de la durabilité, et finalement imposer l’étiquetage environnemental sur tous les biens et services nécessaires au système de soins.
Suite du projet
Le rapport provisoire a été rendu public depuis juin 2021, il est ouvert à tout un chacun sous la forme d’un document qui reste ouvert à toute critique, remarque et proposition d’amélioration (cf lien ci dessous). La version finale est annoncée pour novembre de cette année. Un premier levier serait de réaliser un bilan carbone à tous niveaux afin d’apporter de la connaissance et de pouvoir comparer, et prioriser les plans d’action, dans un but d’efficience maximale sous le prisme de la résilience et de la sobriété.
Figure 2 tirée du Shift Project
Les piliers sont représentés en vert, et les moyens en bleu.
Shift project, rapport provisoire juin 2021 42’ : https://theshiftproject.org/article/decarbonons-la-sante-rapport-intermediaire-shift/
Conclusion :
Le médecin/soignant ne se résume pas à l’acte de soin qu’il effectue, il se définit par la relation qu’il crée avec son patient et le soin qu’il peut donner à travers cette relation, basée sur la confiance et la bienveillance. De façon plus générale, il a été prouvé que les soignants bénéficient d’un degré élevé de confiance auprès de la population, ils ont également un certain rôle d’ambassadeur et d’exemplarité envers la société. Force est de constater cependant que les dimensions environnementales et écologiques ont été largement omises dans l’évolution du domaine de la santé, au profit de la technologie et du développement économique. Il paraît pertinent alors de rappeler que les actes médicaux, regroupant médicaments, interventions et tout ce qui se rapporte directement au système de soins, ne représente qu’une part minime (10-15%) des déterminants de la santé (fig. 3) ! Il semble dès lors évident d’accorder davantage d’importance à la promotion de la santé et à la protection des conditions de vie (contre pollution environnementale, catastrophes climatiques,..), et d’aller vers un modèle de prise en charge plus qualitative (sobriété de prescription médicamenteuse, de laboratoires, d’imageries,..).
Figure 3 : Déterminants de la santé
https://www.inspq.qc.ca/exercer-la-responsabilite-populationnelle/determinants-de-la-sante
Malgré le faible pourcentage qu’il représente parmi les déterminants globaux de la santé d’une population, le secteur de la santé a donc un impact significatif dans la facture finale des GES. Une transition écologique est essentielle et même urgente dans ce domaine, il est même étonnant de constater que ce secteur ne soit pas plus à l’avant-garde puisqu’il est aux premières loges pour connaître les risques du dérèglement climatique sur la santé.
Concrètement, afin d’activer un changement de cap vers un système de santé décarboné, la première étape (à un niveau institutionnel p.ex) est d’établir un bilan carbone, ce qui permettra d’orienter, de prioriser et d’optimiser les actions futures plus efficacement. Comme co-bénéfices non négligeables d’une telle démarche, la réduction des GES aura un effet indirect favorable sur les autres thématiques environnementales non prises en compte dans le présent bilan carbone, à savoir pollution des eaux, du sol, des cycles bio-chimiques, etc…( tout aussi essentiels que le climat pour la santé humaine), et favorisera la sensibilisation collective à la problématique environnementale. (1)
Liens du Shift Project
sante@theshiftproject.org (Mail pour apporter toute suggestion)
https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/06/PTEF_Decarbonons-la-sante-pour-soigner-durablement_RI_Juin-2021.vf_.pdf (PDF du projet intermédiaire)
Bibliographie
Décarbonons la santé pour soigner durablement, plan de transformation de l’économie française |