Impact écologique des médicaments sur l'environnement
Dre Barbara Zuercher |
L'environnement naturel est sujet à des multiples facteurs de stress anthropiques, dont la pollution pharmaceutique est aujourd'hui reconnue comme agent émergent majeur du changement mondial1. A titre d’exemple, 44% des français prennent tous les jours des médicaments2 et le chiffre d'affaire dans les pharmacies a été multiplié par 3 en 30 ans 3.
Le caractère invisible à l’œil nu de cette pollution par les médicaments, mélangée le plus souvent à d’autres pollutions chimiques, et ses effets souvent insidieux sont des facteurs qui participent à retarder une prise de conscience à large échelle de la problématique. Les professionnels de la santé en particulier ont un levier d’action sur cette pollution. Cet article décrit les deux principaux types de pollutions liées aux médicaments puis ébauche des solutions pour les diminuer.
Macro- et micropollution des médicaments
71 000 tonnes d’emballages de médicaments sont jetés en France chaque année, dont le blister plastique/aluminium occupe une place prépondérante parmi les emballages pharmaceutiques 2. Il ne bénéficie pourtant pas de filière de recyclage en raison de sa composition complexe faite d’aluminium et de PVC et encombre les poubelles.
La micropollution de nos eaux en Suisse ne consiste pas seulement en pesticides de synthèse et de microplastiques. Un autre danger invisible s'y accumule dont nous, en tant que médecins, sommes largement responsables: les médicaments. On estime que 50 tonnes de médicaments (contre 12 tonnes de pesticides) se trouvent dans le lac Léman, une estimation qui n'est probablement que la pointe de l'iceberg 4,5. Cette pollution provient des excréments humains et animaliers domestiques, des rejets de l'industrie chimique et pharmaceutique, des élevages industriels d'animaux et des piscicultures, gros consommateurs d'antibiotiques et d'hormones de croissance.
Ces dernières années, la publication d’études écotoxicologiques sur les médicaments a explosé et elles sont alarmantes! Environ 10 % des produits pharmaceutiques présentent un risque pour l'environnement dû à l'indice de solubilité des produits. Les plus problématiques sont les hormones, les antalgiques, les antibiotiques, les anticancéreux et les antidepresseurs 6. Les stations d'épuration (STEP) ne sont en général pas équipées techniquement pour filtrer ces micropolluants, qui finissent dans l'environnement avec nos eaux et perturbent toute la vie aquatique. Même en faibles concentrations de l'ordre de ng L-1 les résidus médicamenteux peuvent affecter des organismes aquatiques. Ils sont alors bioaccumulés par des algues, consommées par du zooplancton et affectent toute les chaînes alimentaires aquatiques 7. Le changement de comportement des poissons observé lors d'exposition chronique altère la dynamique de la population dans les ecosystèmes contaminés 1.
Quelques exemples :
Une étude sur l'impact de différents médicaments dont la Carbamazepine, Diclofenac, Paracetamol, Irbésartan et Naproxen a démontré un effet génotoxique des molecules sur des mollusques 8.
Un effet bien plus troublant est décrit dans un autre rapport, selon lequel 20 % des poissons mâles présentent des caractéristiques féminines lors d'exposition aux hormones et perturbateurs endocriniens, même à court terme. Certains développent des ovaires et ont des difficultés de reproduction9. D’autre effets toxiques sont observés, comme la substance pharmaceutique Diclofenac identifiée comme responsable de l'extinction quasi totale d'une espèce de vautour en Inde en seulement quelques années due à sa néphrotoxicité chez ces oiseaux 10.
Jusqu'à 90% des antibiotiques utilisés sont excrétés par l'être l'humain et les animaux dans l'environnement. Ils ne sont pas éliminés en totalité par les stations d'épuration standard et sont libérés dans l'environnement où ils causent des résistances génétiques dans des microorganismes environnementaux 11. Ces gènes de résistances aux antibiotiques peuvent alors être transmis aux bactéries pathogènes. Un rapport sur les concentrations des gènes de résistance aux antibiotiques (tétracycline, sulfamides et érythromycine) dans l'eau fluviale en amont et en aval des STEP montre que la plupart des sites révèlent une nette augmentation des concentrations de gènes de résistance 12.
Une étude du project ECOIMPACT, effectuée sur différentes stations d’épuration (STEP) en Suisse en 2017, démontre les conséquences écologiques de ces micropolluants sur la composition des biocénoses (ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace écologique donné) des cours d’eau et sur le fonctionnement des écosystèmes de rivières. Les effets observés, comme par exemple la modification de la composition des espèces d’invertébrés où des modifications de la structure de populations d’importants animaux aquatiques, sont dûs aux micropolluants. Durant les prochaines années, de nombreuses STEP en Suisse devraient obtenir un niveau d’assainissement supplémentaire afin d’éliminer de façon ciblée les micropolluants organiques 13.
Empreinte carbone des médicaments
La pollution par un médicament ne se limite pas seulement en aval de sa consommation avec la micropollution, mais aussi en amont, lors de sa conception, fabrication, production et distribution. Dans le parcours du médicament, les deux dernières étapes citées sont les plus riches en émission de carbone 14. L'empreinte carbone globale est considérable et se calcule en milliers de tonnes de CO2.
Une des étapes implique notamment la production du principe actif, qui se fait principalement en Chine ou en Inde 15. La mise sous forme pharmaceutique et le conditionnement de ces médicaments exigent la mise en place de chaînes de production industrielles, souvent séquencées dans différents pays qui impliquent de nombreux transports internationaux intermédiaires 15. 80% des principes actifs contenus dans les médicaments consommés en France sont produits en Chine, ce qui rend le système de santé dangereusement dépendant de nombreux facteurs éco-sociologiques, comme observé lors de la première vague du COVID, avec une pénurie inédite d'antibiotiques, anti-inflammatoires et paracétamol. Le nombre de signalements de ruptures ou de tensions d’approvisionnement pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur a été multiplié par 10 en une décennie en France 16.
Le Shift Project, détaillé dans un autre article de ce SNM News, a étudié la répartition des émissions du secteur de la santé et a démontré que celui-ci représentait au moins 5,1 % des émissions de gaz à effet de serre françaises (fig 1). Et la répartition de ces émissions est très informative, puisque plus de 46% du total de ces émissions seraient dûs aux achats de médicaments, soit 15 MtCO2e (fig 2). Le changement des pratiques de prescription apparait donc comme un levier direct et significatif pour diminuer l’empreinte carbone de la santé.
Figure 1
Répartition des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé (MtCO2e) – Calcul The Shift Project
Figure 2
Répartition des émissions du scope 3 (MtCO2e) – Calcul The Shift Project
Solutions
L'implication des professionnels de la santé et des sociétés savantes dans la réflexion sur la pertinence des investigations et des traitements, en visant une transition vers plus de sobriété, est un point essentiel pour diminuer la pollution et décarboner la santé. Il ne s’agit pas d’un simple retour en arrière ni d’un refus des avancées thérapeutiques, mais d’une véritable nouvelle réflexion et transition vers un système de soin qui vise une amélioration de la qualité plutôt que de la quantité, tout en respectant équation qualité-sécurité versus coût carbone.
Sur le plan de la pratique médicale, plusieurs facteurs peuvent contribuer à des examens, traitements et interventions inutiles, notamment la peur de manquer quelque chose de grave, les demandes des patients, le manque de temps pour la prise de décisions partagées et la difficulté d’apporter des modifications aux pratiques médicales établies. Même avec de nouvelles preuves à l’appui, les lignes directrices peuvent mener à une surutilisation des ressources. De ces constatations découlent quelques pistes vers une transition dans la pratique :
Prévenir l'évitable et démédicaliser le normal
Accorder une plus grande place à la prévention des maladies / promotion de la santé (co-bénéfices santé-environnement), par notamment l'activité physique, l'alimentation et l'information des patients est probablement le plus important levier d’action « en amont », pour éviter nombre de maladies chroniques et leur traitements médicamenteux subséquents, prescrits le plus souvent sur du long terme.
Concept de médecine minimalement effractive
La décision partagée avec une information détaillée du bénéfice-risque d'un traitement ou d'un examen entre le médecin et le patient aide à éviter des demandes d'examens inutiles, bien des fois réalisés à but anxiolytique pour le médecin et /ou le patient, ou par manque de temps.
Pour éviter la surmédicalisation, la déprescription devrait se faire régulièrement (changement de poids, maladie incurable,…) tout comme la vérification de la médication après une hospitalisation (risque de décompensation du patient nécessitant des réhospitalisations).
Prise en charge thérapeutique en fin de vie ou lors de maladies incurables
En particulier lors de maladies incurables ou de fin de vie, prendre du temps pour discuter avec le patient du souhait thérapeutique, le verbaliser et l’accepter est essentiel (p.ex sens d’une poursuite de divers traitements à but préventif) et permet d’éviter le risque d’un acharnement thérapeutique. De façon plus large et philosophique, parler plus ouvertement de la mort dans le milieu médical permettrait peut-être de la replacer comme une étape naturelle de tout cycle de vie, plutôt que, à l’extrême, la considérer comme un échec de notre médecine moderne.
Sélection de médicaments écoresponsables
Le prescripteur doit se responsabiliser quant à l’impact environnemental de ses prescriptions. L’information n’est actuellement pas facile à trouver mais des outils d’aide à la prescription intégrant l’impact environnemental d’un médicament commencent à se développer, p.ex un site internet suédois permet d'informer sur l'impact écologique des substances pharmaceutiques 18. Les médicaments sont ainsi classés selon leur danger (“Hazard Score”) et risque environnementaux en évaluant leur pertinence, bioaccumulation et toxicité sur des organismes aquatiques.
Une très haute toxicité chronique a été trouvée p.ex pour la Ciprofloxacine. Son utilisation empirique a été jugée à haut risque d'impact environnemental. Comme alternative plus écologique pour des infections urinaires non-fébrile la Nitrofurantoine a été proposée. Pour les infections urinaires avec fièvre la Trimethropime peut être également administrée.
Plus d'informations sur l'impact environnemental des médicaments se trouvent sur le site:
Retour des médicaments périmés
Les pharmacies dans le canton de Neuchâtel reprennent des médicaments périmés ou non-utilisés qui seront envoyés par transports spécialisés à l'incinération. Le médecin et le pharmacien doit informer le patient à ne pas jeter les médicaments dans les toilettes ou dans les poubelles. Un projet pilote est en cours avec certaines pharmacies du canton pour une distribution de certains médicaments à l’unité (p.ex antibiotiques : nombre de comprimés selon la durée de traitement prescrite), afin de limiter le gaspillage.
Alternatives non médicamenteuse ou à faible impact de pollution chimique
Des alternatives favorisant la sobriété dans la démarche diagnostique peuvent être privilégiées (p.ex médecine manuelle pour aborder les problématiques douloureuses, évitant certaines imageries inutiles ; échographie (et davantage de formation d’échographeurs) plutôt qu’IRM ou CT avec les avantages de limiter l’exposition du patient au rayonnement et aux potentiels effets secondaires des produits de contraste en plus du moindre coût énergétique de l’examen).
De nombreuses alternatives thérapeutiques non médicamenteuses et/ou à faible impact sur la pollution des eaux (molécules existant à l’état naturel, p.ex phytothérapie), reconnues par la FMH, existent déjà et sont remboursées par l'assurance de base. L’avantage est souvent double, avec en règle générale une meilleure tolérance clinique et une bonne acceptation donc meilleure compliance de la part du patient, et une pollution moindre. Différentes sociétés suisses forment des médecins en phytothérapie (SSPM), homéopathie (SSMH), médecine traditionnelle chinoise (ASA), hypnose médicale (SMSH), micronutrition (SSM/SGM) ou encore thérapie manuelle (SAMM).
Conclusion
Il faut bien sûr se réjouir de la modernisation des stations d'épuration, qui permettront de diminuer l'impact écologique de certains médicaments mais cette solution technique ne suffira pas, il faut agir en amont et de façon plus globale. En tant que médecins, nous devons nous responsabiliser et progressivement intégrer dans nos connaissances et notre pratique l'ecotoxicité des médicaments , l’enjeu sur la vie aquatique et les résistances aux antibiotiques.
La demande en soins semble être en croissance infinie, avec le vieillissement de la population, par ailleurs toujours plus nombreuse et l'augmentation de la morbidité. En parallèle, dans nos sociétés occidentales, les outils diagnostiques et thérapeutiques n’ont jamais été aussi nombreux, facilement disponibles, complexes et ultratechnologiques. Le challenge d’une transition vers plus de sobriété est donc de taille, et il en va de même dans la santé que dans la société de consommation. Décarboner la santé est urgent malgré ces difficultés, non seulement pour préserver le climat, mais également pour améliorer sa capacité de résilience (dépendance aux importations de médicaments et carburants fossiles, évolution inconnue de la disponibilité et coûts des ressources fossiles).
Cette transition dans notre système de santé doit se faire urgemment, avant que nous n'ayons plus le choix des moyens.
Références
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- https://fr.statista.com/marches/1154/sante-et-produits-pharmaceutiques/
- Girard G. Résidus de médicaments dans les eaux en France : Une préoccupation sanitaire majeure de faible écho médiatique. 2019,
- https://www.rts.ch/info/suisse/12121682-le-lac-leman-pollue-par-les-residus-de-medicaments.html
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- Fent K, Weston AA, Caminada D. Ecotoxicology of human pharmaceuticals. Aquat Toxicol. 2006 Feb 10;76(2):122-59.
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