Développement continu de l’AI : quoi de neuf, docteur ?
Christina Böni | chargée de communication de l’OAINE, en collaboration avec Lucas Jeandupeux, chef du secteur juridique de l’OAINE
Dr Philippe Freiburghaus | responsable de l’équipe médicale SMR SR des OAI NE et JU
Le Développement continu de l’AI entrera en vigueur le 1er janvier 2022. Cette 7e révision de la loi sur l’assurance-invalidité (LAI) vise notamment à soutenir de façon plus ciblée encore les enfants et les jeunes en situation de handicap ainsi que les personnes atteintes dans leur santé psychique. À cette fin, l’AI intensifiera la collaboration avec les acteurs impliqués, en particulier les médecins traitants et les employeurs. Voici un résumé des principales nouveautés susceptibles d’intéresser le corps médical neuchâtelois.
Expertises médicales
Les mesures d’instruction et la procédure liée aux expertises médicales ont été uniformisées pour toutes les assurances sociales. Dans le cadre de l’attribution de gré à gré d’un mandat d’expertise médicale monodisciplinaire, l’assureur désigne les experts nécessaires. L’assuré a la possibilité d’invoquer des motifs de récusation à l’encontre de ces experts et de les refuser. L’art. 44, al. 2 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) précise que l’assuré est en droit de présenter des contre-propositions, auquel cas l’assureur est tenu d’examiner les motifs de récusation à l’égard de l’expert proposé. Si un tel motif existe, l’assureur doit alors définir un nouvel expert en tenant compte des propositions de l’assuré. Dans le cas contraire, afin de pouvoir désigner les experts d’un commun accord, il convient dans la mesure du possible de parvenir à un consensus entre l’assureur et l’assuré. À préciser que la possibilité d’une recherche de consensus ne prive pas l’assureur de sa compétence s’agissant de la désignation de l’expert. Par ailleurs, la jurisprudence actuelle selon laquelle un assuré ne peut se prévaloir d’aucun droit à la désignation d’un expert continue de s’appliquer.
En outre, les expertises deviendront plus transparentes : les entretiens entre experts et assurés feront l’objet d’un enregistrement sonore, qui sera joint au dossier. Par entretien, on entend l’anamnèse et la description par l’assuré de l’atteinte à sa santé. L’enregistrement sonore doit garantir que les déclarations de l’assuré sont saisies correctement et reprises avec exactitude dans le rapport de l’expert. À noter que la partie consacrée à l’évaluation psychologique dans les expertises psychiatriques, neurologiques et neuropsychologiques ne peut pas être enregistrée. Lorsque l’assuré souhaite renoncer à l’enregistrement sonore de l’entretien, il doit en aviser l’assureur par écrit. S’il décide après coup qu’il ne souhaite pas l’enregistrement, il doit le faire dans les 10 jours suivant l’entretien.
Autre nouveauté : les exigences relatives à la qualification professionnelle des experts médicaux désireux de travailler sur mandat d’une assurance sociale sont désormais définies au plan fédéral (art. 7l OPGA). Ainsi, en vue de l’établissement d’expertises, les médecins doivent avoir suivi une formation postgrade en tant que spécialiste, mais aussi dans le domaine des expertises médicales. L’exigence relative à la possession d’une certification de l’association Médecine d’assurance suisse (Swiss insurance medicine, SIM) garantit que les médecins spécialistes qui réalisent des expertises pour les assurances sociales ont suivi une formation proposée en Suisse dans le domaine des expertises médicales. Une période transitoire de cinq ans est prévue pour permettre aux experts de remplir ces exigences. À préciser que la qualification en médecine des assurances est requise uniquement pour les disciplines médicales les plus demandées (spécialistes en médecine générale interne, en psychiatrie et en psychothérapie, en neurologie, en rhumatologie, en orthopédie ou en chirurgie orthopédique et en traumatologie de l’appareil locomoteur).
Par ailleurs, les expertises bidisciplinaires seront confiées exclusivement à des centres d’expertise agréés ou des binômes d’experts via la plateforme électronique d’attribution aléatoire MED@P, qui fonctionne déjà depuis mars 2012 pour l’attribution des expertises pluridisciplinaires (trois disciplines médicales ou plus).
Enfin, les offices AI ont l’obligation de tenir une liste publique contenant des informations sur les experts auxquels ils font appel (nombre d’expertises effectuées, remboursements, incapacités de travail attestées, appréciation des expertises dans le cadre de décisions de justice). Nous avons bien conscience que cette transparence accrue, voulue et décidée par le Parlement fédéral, peut susciter des réticences au sein du corps médical, c’est compréhensible. Dans l’intérêt de vos patients et donc de nos assurés, nous devons toutefois pouvoir compter sur la collaboration d’experts, ce pour garantir que nous puissions rendre in fine la décision la plus juste et la plus équitable au vu de l’état de santé des personnes concernées.
Infirmités congénitales
Comme vous le savez, l’AI finance le traitement médical de certaines infirmités congénitales qui touchent les enfants et les jeunes. La réforme inscrit dans la loi des critères clairs pour déterminer si une maladie est assimilée à une infirmité congénitale et, donc, si l’AI prend en charge les coûts de son traitement. La liste des infirmités congénitales a été mise à jour au 1er janvier 2022, notamment pour tenir compte des progrès de la médecine : ainsi, les affections qui peuvent être traitées facilement sont désormais prises en charge par l’assurance-maladie. À l’inverse, de nouvelles maladies, en particulier des maladies rares, seront prises en charge par l’AI. À préciser que la tenue de la liste des infirmités congénitales a été confiée au Département fédéral de l’intérieur (DFI).
Prise en charge de médicaments
Pour les infirmités congénitales reconnues, l’AI prend aussi en charge les coûts des médicaments. Afin de simplifier la procédure et de concentrer les compétences techniques, une liste des spécialités a été créée pour l’AI (liste des spécialités en matière d’infirmités congénitales, LS IC). Elle recensera les médicaments pris en charge par l’AI ainsi que leur prix maximal. Pour être admis sur la liste, les médicaments doivent faire l’objet d’un examen selon les critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité, sur le modèle de la procédure appliquée dans l’assurance-maladie. La nouvelle LS IC remplace l’ancienne liste des médicaments destinés au traitement des infirmités congénitales. À préciser que lorsqu’une personne assurée atteint l’âge de 20 ans, les médicaments remboursés par l’AI sont pris en charge dans la même mesure par l’assurance obligatoire des soins (AOS).
Un centre de compétences a été créé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour la procédure d’admission et la tenue de la LS IC – cet office étant responsable de la liste des spécialités de l’assurance-maladie, il dispose en effet déjà de l’expérience nécessaire en la matière.
Nouvelle ordonnance sur les prestations de soins
Le 1er janvier 2022, le DFI met en vigueur une nouvelle ordonnance sur les prestations de soins, qui désigne les prestations de soins ambulatoires (p. ex. les soins prodigués par des organisations d’aide et de soins à domicile) fournies aux enfants et aux adolescents qui seront prises en charge par l’AI.
Mesures médicales de réadaptation
Dès le 1er janvier 2022, la limite d’âge pour les mesures médicales de réadaptation est relevée : les assurés participant à une mesure de réadaptation d’ordre professionnel pourront bénéficier de mesures médicales de réadaptation jusqu’à l’âge de 25 ans. À noter qu’une mesure médicale de réadaptation doit être demandée avant le début du traitement. Cette modification entend alléger la charge administrative liée à la procédure de délimitation des compétences entre les assureurs-maladie et l’AI.
Passage à un système de rentes linéaire
Un système de rentes linéaire a été introduit au 1er janvier 2022 pour les nouveaux bénéficiaires de rentes, afin de les inciter à augmenter le taux de leur activité lucrative. Dans l’ancien système à quatre échelons, de nombreux bénéficiaires de rentes n’ont pas intérêt à travailler davantage, car cela n’augmenterait pas leur revenu disponible en raison d’effets de seuil. Une rente entière sera octroyée, comme aujourd’hui, à partir d’un taux d’invalidité de 70 %.
Le nouveau système de rentes linéaire revalorise les prestations au pourcentage près du taux d’invalidité. Pour un taux d’invalidité compris entre 40 % et 70 %, chaque pour cent modifie le montant de la rente.
Bon à savoirLes rentes AI sont échelonnées selon le taux d’invalidité d’une part et le nombre d’années de cotisations d’autre part. Ces deux paramètres se retrouvent dans la terminologie utilisée et les deux notions de « rente entière » et de « rente complète ». Le fait qu’une rente soit « entière » ou non est fonction du taux d’invalidité. Une rente entière est versée lorsque le taux d’invalidité est compris entre 70 et 100 %. Qu’une rente soit « complète » ou non dépend du nombre d’années de cotisations. Une rente complète est allouée uniquement en l’absence de lacunes de cotisations – sinon, la rente est réduite. Des situations de demi-rentes complètes ou de rentes entières réduites peuvent en conséquence s’observer. |
Indemnité journalière de l’AI pour les jeunes
La nouvelle réglementation de la LAI relative aux indemnités journalières vise à mettre les jeunes atteints dans leur santé sur un pied d’égalité financière avec les jeunes du même âge en bonne santé. Elle permet d’éviter que, pendant la formation, les premiers ne reçoivent des indemnités journalières plus élevées que le salaire perçu par les seconds. Le droit aux indemnités journalières sera ouvert dès le début de la formation, et cela même en l’absence d’une perte de gain et avant l’âge de 18 ans. Ce modèle permet aux jeunes assurés de percevoir un vrai salaire, directement versé par l’employeur en contrepartie du travail fourni.
Dispositif cantonal de détection et d’intervention précoces en faveur des jeunes
Les jeunes atteints dans leur santé nécessitent, lors du passage de la scolarité obligatoire à la formation professionnelle initiale, un soutien individuel et ciblé. Pour mieux les accompagner, l’Office AI NE renforce le dispositif de dépistage, qui vise à dépister les enfants et les jeunes menacés d’invalidité de longue durée suite à une atteinte à la santé avérée, dès l’âge de 13 ans (Harmos 10), en collaboration avec tous les acteurs cantonaux impliqués (services sociaux-éducatifs dans les écoles, services d’orientation professionnelle (OCOSP), pédiatres et pédopsychothérapeutes). Il s’agit notamment de prévenir les décrochages scolaires et de favoriser la continuité de la prise en charge entre les différents acteurs. L’Office AI NE informera le corps médical neuchâtelois une fois que toutes les modalités seront connues (printemps 2022).
Quelques chiffres de l’Office AI NE pour la période 2020-2021
Au 31.12.2020, l’Office AI NE comptait 5862 bénéficiaires de rentes, pour une population active de 109 000 personnes (5,4 %). Parmi ces bénéficiaires, 4576 touchaient une rente entière (78 %), 301 trois quarts de rente, 723 une demi-rente et 262 un quart de rente.
En 2020, l’Office AI NE a rendu une décision d’octroi de rente à 647 personnes, dont 372 étaient des rentes entières (57 %), 52 des trois quarts de rente, 137 des demi-rentes et 86 un quart de rente. Le nombre de refus de rente s’est élevé à 1185, sur un total de 1832 décisions.
Le revenu annuel moyen de l’ensemble de nos assurés bénéficiaires d’une rente ordinaire s’élevait à 44 349 francs en 2021. À noter que ce montant comprend les rentiers qui ont des lacunes de cotisation (années sans revenu cotisant) ou qui travaillaient à temps partiel. Ce revenu annuel moyen est donc bien loin des 120 000 francs avancés dans l’émission de Temps Présent de la RTS diffusée en octobre 2021, intitulée « Invalidité – une assurance qui n’assure plus », qui laissait entendre qu’à moins de gagner un tel revenu annuel, il y avait peu de chances de toucher une rente de l’AI en cas d’invalidité.
À noter que l’Office AI NE se distingue par un soutien actif et important en matière de réadaptation : en 2020, le montant total des investissements dans le canton de Neuchâtel réalisés à l’aide de fonds fédéraux via les mesures de réadaptation s’est chiffré à 58,3 millions de francs, en légère hausse par rapport à l’année précédente. Viennent s’y ajouter 23,2 millions d’indemnités journalières versées par l’AI. 571 personnes atteintes dans leur santé ont par ailleurs repris un emploi avec l’aide de l’OAINE (+ 22% par rapport à 2019).
Comme vous le savez, le médecin traitant est le principal interlocuteur de l’AI pour fournir des informations médicales dans le cadre de l’instruction d’une demande de prestations AI. Nous vous remercions très cordialement de votre collaboration pour qu’ensemble, nous formulions la décision la plus juste pour chacun et chacune de nos assurés.
Pour toute question liée à l’AI, vous pouvez vous adresser aux personnes suivantes :
Site web de l’Office AI NE : www.ai-ne.ch > Professionnels de la santé Site web de l’AI fédérale : www.avs-ai.ch Site d’information sur l’AI destinés aux médecins : www.ai-pro-medico.ch |