COVID-19 : Des leçons à apprendre pour la gestion cognitivo-socio-émotionnelle lors de la pandémie
Cherine Fahim | docteure en sciences neurologiques collaboratrice scientifique de l’Institut de Formation et de Recherche en Santé Mentale (IFRSM) du Centre Neuchâtelois de Psychiatrie (CNP)
La pandémie de coronavirus (COVID-19) constitue une des pierres angulaires du 21ème siècle. Une pandémie qui a vite devenu une réalité à laquelle personne n’était bien préparé. Elle nous a impacté sur le plan physique, psychique et social. Un contexte irréel qui a déséquilibré différentes sphères de notre vie : de la gestion de nos prises de décisions, planification, auto-gestion de nos émotions, nos relations familiales, au travail et sociales. Cette pandémie nous a permis de tirer trois leçons : (1) L’importance des données issues de la recherche scientifique ; (2) La place de l’être Humain dans la gestion de sa vie mentale ; (3) Le rôle de la résilience.
La première leçon est celle des données
Les recherches scientifiques issues de cette pandémie peuvent servir comme une pierre angulaire, un pivot pour nos prises de décisions futurs en cas d’autres pandémie. La gestion de la crise de la santé physique et psychique COVID-19 a révélé que la collecte des données est parmi les plus grands atouts. Même s’il existe des données en abondance, il convient de mettre en place des stratégies de données intégrées et globales pour maximiser la valeur de l’information et de la prise de décisions issues de ces données. La pandémie COVID-19 nous a appris des déterminants de la santé mentale et du bien-être. Ces déterminants peuvent être utilisés pour soutenir la mise en place de programmes populationnels visant à mitiger les effets à long terme de la pandémie tout en réduisant les inégalités de la santé physique et psychique. Ainsi, lors d’une prochaine pandémie ces données permettront une meilleure chance de planifier une relance mieux adaptée, plus structurante et plus équitable qui bénéficie à tous et à toutes. Ci-dessous quelques bienfaits de ces données :
- Agir ensemble
- Réagir avec souplesse
- Penser simplicité et efficacité
- Utiliser des modèles prédictifs
- Rechercher les tendances qui se dessinent
La deuxième leçon est l’Humain
Une leçon qui a clairement mis en avant l’Humain dans sa globalité cognitivo-socio-émotionnelle, son bien-être psychique, ses relations familiales, au travail et sociales. Comment contribuer à notre bien-être psychique puisqu’il permet une meilleure utilisation de nos fonctions exécutives concrètes et adaptées à nos situations les plus difficiles ? Chacun peut faire une différence significative dans sa vie et celle de ceux qui les entourent :
1. MA CONDITION PHYSIQUE : JE M’OCCUPE DE MON CORPS, JE GÈRE MON ÉNERGIE.
- Je surveille ou réduis ma consommation d’alcool ou de drogues, afin de garder un bon fonctionnement de mon réseau neuronal.
- Je mange sainement pour garder le bien-être de mon microbiote, mon 2ème
- Je fais du sport ou de l’activité physique. La sédentarité et liée à plusieurs maladies psychosomatiques.
- J’adopte de bonnes habitudes de sommeil.
- Je fais des activités relaxantes (ex. yoga, tai-chi, techniques de respiration).
S’occuper de la relation corps-cerveau est primordial. Une activité physique régulière améliore la neuroplasticité (cette capacité du cerveau à s’adapter à son environnement via l’amélioration des connexions neuronales), la neurogenèse (cette capacité à faire naitre de nouveaux neurones) et donc protège le cerveau de la fatigue mentale, des sauts d’humeur et des lésions dues aux situations difficiles. Imaginons le cerveau comme une immense forêt pleine d’arbres. Ces arbres sont nos neurones qui ont besoin d’attention particulière, de mouvement et d’engrais par moment. Les engrais de nos neurones sont le BDNF, une protéine fabriquée dans notre cerveau avec le mouvement. Le BDNF aide à la luxuriance et la prolifération de nos neurones. L’attention particulière est donnée à ces neurones grâce à la libération de la dopamine avec le mouvement qui améliore la régulation des fonctions émotionnelles, liées aux récompenses et cognitives. Les neurones dopaminergiques régulent principalement la fonction motrice et nous procure ce sentiment de plaisir. Le jardinage, par exemple, peut très bien remplir cette immense forêt de la BDNF et de la dopamine.
Maintenant changeons d’image mentale et allons au bord d’une mare d’eau stagnante peu profonde sans vie et pleine de saleté ou d’une rivière de source avec de l’eau claire en mouvement pleine de vie. C’est à vous de choisir : si vous voulez que votre cerveau ressemble à une mare ou à une rivière. La participation à une activité physique améliore la santé mentale via la libération d'endorphines (antidouleur naturelle), la sérotonine (satiété, effet coupe faim, calme interne effet coupe bavardage et ruminations). Tout simplement une balade dans la nature vous procure le bonheur nécessaire au bon fonctionnement de vos neurones.
Depuis les années 60, les études en neurosciences montrent que l'activité physique est source de bonheur (c.-à-d. estime de soi, concept de soi positif, efficacité personnelle, image corporelle de soi, affect positif, optimisme, bonheur et satisfaction dans la vie) et que le comportement sédentaire est synonyme d’un mal-être psychologique (c.-à-d. Dépression, anxiété, stress ou affect négatif) à travers les âges. À vous le choix et à vos marques, prêts, partez ! vers l’eau stagnante ou en mouvement ?
2. AU QUOTIDIEN : JE ME CRÉÉ UNE ROUTINE, JE RESPECTE MA FAÇON DE FONCTIONNER ET JE ME METS EN ACTION.
- Je tiens une liste ou un agenda des tâches à effectuer.
- Je tiens compte de mes capacités dans mon horaire.
- Je fais des activités dans lesquelles je me sens valorisé.
- Je me fixe des objectifs qui sont réalistes.
- Je prends du temps de repos lorsque j’en ai besoin.
- J’aménage mon logement ou ma maison pour répondre à mes besoins (ex. des rideaux qui bloquent la lumière pour faciliter mon sommeil).
- Je m’occupe pour ne pas toujours penser à mes difficultés.
- Je fréquente des endroits publics dans mon quartier (ex. bibliothèque, café, parc).
3. MES DIFFICULTÉS : J’ESSAIE DE COMPRENDRE CE QUE JE VIS, JE CHERCHE DE L’AIDE, J’AFFRONTE CE QUI VA MOINS BIEN ET JE RESTE VIGILANT FACE AUX RISQUES DE RECHUTE :
- Je note ou porte attention à mes pensées, mes émotions, mes comportements.
- Je modifie la manière dont je vois les choses et la façon dont je me parle (discours intérieur), j’essaie de faire face à mes peurs.
- Je règle les problèmes qui m’arrivent une étape à la fois.
- J’apprends à reconnaître les signes d’une rechute, je prends du recul par rapport aux événements qui me dérangent (ex. je dédramatise la situation, je me donne le temps de réfléchir).
La prise de conscience de soi, de ses pensées et actions, i.e., la mentalisation constitue l’un des facteurs de protection le plus important de la santé mentale. La mentalisation fait essentiellement appel à un réseau neuronal complexe impliquant le cortex préfrontal, siège des fonctions exécutives. De plus, elle requiert d’autres réseaux de neurones diffus et connectés entre eux. Fonctionner au quotidien et penser à ses pensées, éprouver de l’empathie pour soi et l’autre résulte de la synchronisation de ces nombreux réseaux neuronaux interconnectés ensemble.
4. MES RELATIONS : JE M’ENTOURE DE GENS QUI ME FONT DU BIEN ET JE PARTICIPE AU BIEN-ÊTRE AUTOUR DE MOI :
- Je vois des amis ou des membres de ma famille, j’obtiens de l’aide de mon entourage.
- Je participe à un groupe de soutien ou d’entraide.
- Je fais des activités, des sorties avec d’autres personnes.
- Je m’occupe d’un animal.
- Je prends soin d’une ou de plusieurs personnes (conjoint, enfants, amis).
- J’aide des personnes qui vivent des difficultés comme moi (ex. bénévolat).
La relation soma-psyché c’est la relation intime entre corps et cerveau. Afin de la combler nous avons besoin de se synchroniser avec le monde qui nous entoure. Des chercheures ont examiné les effets du bénévolat sur la santé cardiovasculaire. Ils ont recruté plus de 100 élèves de 10e année dont la moitié a été assignée aléatoirement à faire du bénévolat auprès d’élèves du primaire inscrits dans des activités parascolaires. Après quatre mois, ceux qui avaient fait du bénévolat ont vu des résultats bénéfiques sur leur santé, incluant des taux plus bas de cholestérol et d’inflammation. C’est vraiment une preuve convaincante, qui suggère qu’au-delà des aptitudes sociales enseignées par le bénévolat, celui-ci pouvait avoir des bénéfices physiologiques directs.
Pourquoi nous sentons-nous plus heureux quand nous donnons de nous-même à autrui ? Afin de répondre à cette question, des neuroscientifiques ont utilisé la neuroimagerie par résonance magnétique afin de localiser l’activité cérébrale des participants lorsqu’ils ont fait un don à une bonne cause. Résultats : des régions du cerveau impliquées dans le sentiment du bonheur s’activait significativement. C’est une région également responsable de nos envies, de nos récompenses et de notre plaisir. La dopamine n’est pas seulement associée avec les émotions, le mouvement, et le système du plaisir et de la récompense du cerveau, mais aussi avec le système immunitaire du corps en entier.
Effectivement, la Dopamine se trouve également dans le corps en cellules immunitaires qui orchestrent la réaction de fuselage à l'infection. Par exemple, dans les lymphocytes, la dopamine est produite et relâchée par les cellules puis agit sur ses propres récepteurs, et peut avoir une influence sur son propre fonctionnement. Cela en parti explique les résultats de la première étude citée ci-dessus : les bénévolats ont vu des résultats bénéfiques sur leur santé, incluant des taux plus bas de cholestérol et d’inflammation.
Donnez de vous-même aux autres, combler la relation entre votre corps et votre esprit. Le don de soi vous jouit d’une longévité accrue et d’une plus grande capacité fonctionnelle. Vous allez vous sentir moins en dépression, vous allez éprouver moins de stress, votre taux de glycémie serait plus bas en vieillissant et vous serez également moins sensibles à votre douleur et beaucoup plus sensible au bonheur d’autrui.
5. MON ESPOIR : Je me concentre sur le positif, Je prends soin de moi et Je prends du pouvoir.
- Je dirige mon attention sur le moment présent.
- J’utilise des mots d’encouragement, des images ou des phrases inspirantes.
- Je m’inspire de personnes qui ont des difficultés comme les miennes.
- J’apprécie les belles choses, les petits plaisirs de la vie.
- J’utilise l’humour.
- Je me félicite pour mes réussites, petites ou grandes.
- Je consacre du temps à ma vie spirituelle (ex. religion, philosophie, méditation).
- Je fais des activités qui mettent mes forces en valeur.
- J’évite de trop me comparer aux autres.
- J’apprends à vivre avec mes forces et mes limites.
- J’apprends à séparer mon problème de santé mentale de moi-même en tant que personne.
La troisième est la résilience
Nous avons appris que l’être humain doit être résilient face au stress. De l’anxiété, à la dépression et les troubles de conduites alimentaires, le stress et les perturbations suscités par la crise ont fragilisé certains cerveaux. La pandémie de COVID-19 nous a appris à perfectionner la recette du stress, le CINÉ : Contrôle faible de la situation, Imprévisibilité, Nouveauté et Égo menacé. Gérer ces ingrédients nous rend plus résilient pour une éventuelle pandémie future, au cas où, elle survient lors d’un des moments le plus inattendu. Oublions-pas que la santé mentale est une composante essentielle de la santé. Elle est le point d’équilibre entre les différentes sphères de la vie : sociale, physique, spirituelle, économique, cognitif et émotionnelle.
- Admettre : le stress existe, c’est un mécanisme inhérent au bon fonctionnement «temporaire» du psychisme.
- Accepter : Nous ne sommes pas des être aussi rationnels, logiques et cohérents que nous le prétendons. Nous sommes des êtres extrêmement complexes MAIS nous pouvons œuvrer à devenir plus cohérents. L’imprévisibilité et la nouveauté nous font parfois peur.
- Reconnaître : Prendre conscience de nos biais cognitifs : tentatives d’autojustification et d’autopersuation est le premier pas.
- Mesurer la portée de nos actes & évaluer leurs conséquences, plutôt que chercher à les justifier.
- Agir en accord avec nos valeurs & sauvegarder une belle image de nous-mêmes : en ne succombant pas à la tentation de l’autojustification, nous augmentons les chances de changer et de devenir plus résilient :
- Je suis capable de m’adapter aux changements
- J’arrive à gérer tout ce qui arrive
- Je vois le coté humoristique des choses face aux problèmes
- Je crois que gérer le stress me rend plus fort.
- J’arrive à rebondir après différentes épreuves
- J’atteins des objectifs, malgré les obstacles
- Sous la pression, je reste concentré.
- L’échec ne décourage pas facilement
- Je me considère comme une personne forte
- Je suis capable de gérer les émotions désagréables
En conclusion, les données recueillies pendant cette pandémie nous ont permis de reconnaitre que la santé globale est façonnée par les caractéristiques individuelles, environnementales, sociales, culturelles et économiques. Une santé mentale liée tant aux valeurs collectives dominantes qu’aux valeurs propres à chaque individu. L’être Humain doit reconnaitre que sa santé mentale c’est tendre vers un équilibre (plus qu’un état fixe). La résilience c’est de pouvoir surfer sur la vague du stress. C’est cette capacité à trouver des moyens pour vivre les changements, les défis ou l’adversité, qui protège la santé mentale.
Références
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